Cette question des liens pouvant (ou devant, c'est selon) exister entre le personnage tel qu'il est défini par le joueur (caractère, centres d'intérêt, profession, histoire) et le monde qui l'entoure (rôle dans la société) me tarabuste aussi grandement.
Si je prends l'exemple de Thanys : lorsque je l'ai créé, je ne connaissais quasiment rien du monde d'Atys et je n'ai donc pas "pré-programmé" mon personnage. Je ne lui ai pas inventé une histoire sur le papier, ni décidé de lui faire jouer une profession particulièrement tarabiscotée. Je me suis contenté de me dire "bon, je vais apprendre à récolter, on verra ensuite ce qu'il est possible de faire".
Je mets un marqueur à ces deux premiers paragraphes pour reprendre cette remarque ultérieurement si nécessaire. Déjà tu soulèves un point important : à contrario dun jdr de table, le monde nest quasiment jamais connu du joueur lorsque celui-ci fait son personnage. Sil en a une vague idée par quelques échos, il na pas la présence dun meneur de jeu pour des conseils avisés pour réaliser le personnage qui lui convient le mieux.
Dun autre côté les choix de compétences, des attributs, des dotations, le background du personnage classiques dans un jdr de table nont nulle influence à la création dun personnage dans Ryzom : même si tu ne choisis pas les bons packs de départ tu peux les reprendre après, de toute façon ton personnage, mise à part pour son peuple, naura aucune différence à la création par rapport à un autre nouveau personnage. Si tu veux en changer, il existe encore 3 autres slots.
Mon idée, à ce moment-là, était de partir du plus général pour aller vers le particulier. Thanys est, comme la majorité des Matis présents dans le royaume, un réfugié. C'est, pour moi, une contrainte essentielle de son background, qui m'empeche concrètement de lui choisir une histoire à la noix avec des origines mystérieuses, des parents tués par les orcs, euh, pardon, des kitins, etc. Je vois la définition du rôle de Thanys un peu comme un entonnoir : ses actions, ses connaissances acquises au fur et à mesure que son existence avance, lui permettent de s'affiner, de se positionner par rapport à ses semblables.
Tous les personnages possèdent à peut prêt le même background. Si on définit le background comme étant lhistoire et une sorte dexplicatif de ce quest le personnage aujourdhui dans sa totalité, on peut même dire quil ny a pas de background car mise à part dans linterprétation (ce qui équivaut au caractère) tous les personnages sont quasiment les clones dans autres dans leur savoir, leur éducation, leur compétence, leur dotation bref : leur profil !
Arrivé à ce stade, il est clair que l'on se heurte (c'était mon cas en tout cas) à une barrière liée aux manques d'enjeux dans le jeu, qui empêchent de faire ces choix essentiels qui ouvrent ou ferment des portes dans une existence. On se retrouve donc tous plus ou moins avec des persos techniquement semblables.
Techniquement semblables, certes mais le pire, tu le soulignes, cest quil ny a pas denjeux personnels, de choix à faire, des choix qui déterminent normalement une existence, une vie tout entière. Cela a pour conséquence quau départ déjà, ton personnage na nulle réflexion à se faire au quotidien puisque nul choix. Il arrive comme le robot quil est dans un vaste jeu de question-réponse mêlé dépreuve, une sorte de camp dentraînement dans lequel sa réflexion sera totalement dirigée.
Pas de réflexion, pas de questionnement personnel donc rien à dire, de là découle un problème lié à lintroduction de linterprétation, le roleplay : il na rien à dire le pauvre donc rapidement on se met à parler entre joueur.
On peut déjà faire un lien entre le rôle absent pour le joueur à la création du personnage et le roleplay qui de fait nest pas motivé par le système du jeu chez le joueur. Si (je sais quon fait beaucoup de chose avec des « si » mais..) le joueur avait un rôle à choisir au départ avec des responsabilités et des obligations, son interprétation serait déjà largement plus motivée chez le joueur, cela me paraît évident.
La tentation est donc forte (et très légitime) de chercher à différencier son perso, à lui donner une originalité. Or, faute d'éléments de référence essentiels (représentés dans un JDR sur table par le MJ), on peut très bien partir dans tous les sens, sans qu'il y ait moyen de créer de véritable consensus entre les joueurs sur ce point.
L'exemple type est celui de l'organisation "politique". Thanys, après quelques pérégrinations et habité d'une crainte sacrée face à ce qu'il interprète comme une décadence de son peuple, veut s'impliquer concrètement dans la défense de celui-ci. Il a donc rejoint les groupes Matis les plus structurés, accordant sa confiance à quelques officiers de guilde parmi les plus proches de ses idées.
Lorsquune multitude de personnages joueurs débarquent dans ce monde dans les conditions décrites plus haut dans ce message, ils ont tous un point commun ou presque : ils sont sans rôle, sans interprétation motivée.
Peuvent ils dès lors en chercher un dans une organisation pré structurées dirigées par des PNJs voire des GMs dans laquelle on va leur assigner un rôle ? Non. Ryzom noffre pas cette possibilité. Le seul rôle possible visible est celui de se prendre en charge pour faire évoluer son profil au sens large. Déjà je souligne que cela est surtout possible parce que le profil est visible, on voit lévolution et on la comprend. Pourtant le profil na rien dun élément immersif !
Un autre rôle possible est celui que va te donner une guilde de personnage joueur, une organisation indépendante en définition du monde virtuel puisque aucun pré requis nest obligatoire pour former une guilde et tenant à la connaissance du monde, une guilde a autant de chance dêtre immersive pour le joueur et cohérente pour ses membres que de ne pas lêtre du tout.
Bien.
Seulement voila. Quel "rôle" (fonction) jouer dans le royaume Matis :
- en guilde, je suis "maître de la lumière" de l'Etoile d'Obsidienne, disons en gros que je suis le grand prêtre de service et le méchant inquisiteur chargé de placer les mots Jena et Karavan à peu près trois fois par phrase. Qu'est-ce qu'un prêtre dans la civilisation Matis ? Quel rapport y-a-t-il entre la magie et la religion ? Quels sont exactement les interdits de la Karavan ? (je veux dire, "clairement"). Que nous soyons croyants ou non IRL, nous savons depuis notre petite enfance ce qu'est un curé, qu'il n'y a pas de grands éclairs de magie qui fusent de ses mains lorsqu'il baptise un enfant, et qu'il lui est formellement interdit de se marier après avoir été ordonné. C'est une connaissance de base, accessible à tous. Pas besoin de savoir pourquoi c'est comme ça, mais on sait que c'est comme ça et ça suffit.
---> dans Ryzom, aucun homin n'a de connaissance de base de la manière dont vit son peuple. Que mangeons-nous ? Quelles sont nos croyances concrètement ? Le pouvoir de télépathie (tells) existe-t-il vraiment ? Quelle est la place de la magie ? etc...
Conséquence : nous devons inventer nous-mêmes ces éléments. Avec le risque que ceux-ci soient disputés entre joueurs. Et là ou, dans un JDR sur table, nous aurions recours au MJ pour trancher, nous n'avons pas cette possibilité. En gros, lorsque nous nous tournons vers le "barbu derrière son bout de carton", celui-ci nous répond avec un sourire malicieux "tu verras bien..."
Les jdr de tables et lexpérience de leurs concepteurs ont rendu ces produits fort bien adaptés aux clients que sont les rôlistes. Un jdr prévoit beaucoup de choses sil est bien fait pour que le conteur puisse mettre de lambiance, initier des joueurs et finalement réaliser une partie agréable. Beaucoup de ces mécanismes sont réfléchis et auraient dû inspirer les concepteurs de MMORPGs sils voulaient vraiment satisfaire la minorité de rôlistes dans leur MMORPG. Mais veulent ils vraiment la satisfaire ?
Parmi ces mécanismes, ces petits trucs du jdr de table, on notera que quelque chose qui sen rapproche a été repris des plus maladroitement par Nevrax sur son site web : le quotidien dun zoraï par exemple. Ce quotidien est nébuleux ! Je nai pas une bonne idée de ce que sont les zoraïs en me renseignant auprès des sources officielles dinformations. De fait je ne sais pas du tout comment le jouer si jen fais un ou simplement si mon personnage quil soit tryker ou matis vit parmi les zoraïs.
Là où les jdrs nous sortent à juste titre, à raison, des suppléments dagréables factures illustrés dhistoire, danecdotes, de faits divers pour raconter et décrire un monde, les concepteurs de jeux vidéos nous donne moins quun fanzine de base ne le ferait. Je connais des dizaines de monde de jdr qui sont en reconstructions, où le joueur incarne un personnage à la recherche de la connaissance perdu. Le livre de base et les suppléments tiennent ils pour autant sur 2 feuilles de papier ? Non !
Je crois avoir vu sur beaucoup de sites web de MMORPG une présentation des auteurs/participants/salariés des boîtes de jeu annoncer quils savaient autant plaire aux roxxors quaux rôlistes car dans ce dernier cas, ils avaient eux aussi jouer aux jdrs de table. Je leur répondrai simplement quon peut faire 10 parties voire 100 et être une quille dans ce domaine. Cela nest pas grave du moment quon samuse mais quand il sagit de plaire à un large public de centaines de rôlistes, cest très grave. Ce genre derreurs est dailleurs très illustratives à ce sujet.
Mais peut-on sen plaindre ? Je le supposais personnellement : la conception dun MMORPG est une uvre dart par ses programmeurs, ses désigners, quasiment jamais par son contenu littéraire. En reprenant la feuille du développement dun jeu sur le site EA games, je constate que le monde tient sur 2 feuilles avant dêtre lâché aux programmeurs et designers, les scénaristes arrivent juste en fin de course pour mettre du texte. On est loin du principe de création dun monde imaginaire où cest 1000 pages de descriptifs qui préludent à la création dun jdr complet.
Pour rester dans les exemples :
- Le Zorai Leto affirme pouvoir infecter un homin de la Goo. Est-ce vrai ? Est-ce faux ? En quoi cela influe-t-il sur la storyline de Ryzom ? Si c'était vrai, celle-ci pourrait venir le contredire (la Goo est un enjeu et une menace pour les Kamis comme pour la Karavan, si un simple Zorai dans son coin pouvait la maitriser, cela ferait à mon avis belle lurette qu'il aurait disparu). Le fait est que certains homins (en RP) présentent des symptômes inquiétants. Logiquement, il s'agit donc uniquement d'empoisonnements et de mystifications. Mais ça, seul le joueur le sait. Les personnages peuvent croire que ce terrifiant Zorai a des pouvoirs. Maintenant, que faire ? Le dénoncer aux autorités ? Qui sont-elles ? Que peuvent-elles faire ? Soit elles n'existent pas en jeu et dans ce cas la question est réglée, soit elles sont incarnées par des joueurs et dans ce cas, qui leur a donné ce pouvoir ? Le tuer ? Mais, si on le tue, Leto étant membre d'une Guilde Matis, cela a-t-il ou non une influence dans notre société ? Bref, quelles sont nos lois en la matière ? Fixer nos lois ? Oui, mais au nom de quoi, et celles-ci ne seront-elles pas en contradiction avec la Saga ? (imaginez par exemple que les Matis aient créé des lois en s'inspirant de la vision du monde de leur roi Jinovitch, que feraient-ils à présent qu'Yrkanis prêche la paix du haut de la montagne lointaine ou il s'est retiré depuis 17 ans ?)....
Bref, on a beau retourner le problème dans tous les sens, à mon avis on en arrive toujours au même point : quelle est la marge de manoeuvre des joueurs pour se répartir les rôles ? Imaginez que vous êtes sur une scène de théâtre ou le metteur en scène vous dit "bon, les acteurs, merci d'être là, mais le scénario en fait n'est pas encore écrit et moi, d'ailleurs, puisqu'on parle de ça, je suis attendu pour dîner dans 5 minutes... Donc je reviendrai d'ici deux ou trois heures, d'ici là, jouez...." Jouer quoi ?
Arrivé à ce stade du jeu, au vu de tout ce qui a été dit, il sagit simplement dun constat navrant mais ô combien réaliste de tous les manques. Ta réflexion me paraît pertinente et je nai rien à y ajouter sinon que je la partage.
Des solutions à ce problème existeraient bien, je pense. Par exemple pour régler la question de l'autorité et lui coller le label "nevrax approved", un système d'élection là ou c'est possible (trykers par ex.). Des rites particulièrement complexes et difficiles, nécessitant une excellente connaissance de la Lore, donnant accès à un titre de Conseiller, lesquels Conseillers élisent un Chef. Arrivé à ce point personne ne peut contester que le Chef est le Chef, puisqu'il y n'y en a qu'un et qu'il l'est par la grâce du système de jeu...et, si on veut éviter le grosbillisme, par la grâce d'une validation par les GM. Ensuite, les décisions juridiques ou politiques prises par le Conseil sont retracées dans un Livre des Lois (IG, accessible via des Clercs), valant jurisprudence. Une déclaration de guerre décidée par le Conseil (via un système IG également), débloquerait la possibilité d'engager un PvP contre la faction ou le peuple concerné.
D'accord, cet exemple est totalement irréaliste, mais c'est ce à quoi j'arrive quand je me dis "comment donner aux homins les clefs de leur destin". Pour le moment nous avons un système calé sur la notion "comment faire participer les homins à la Saga pré-écrite", ce qui n'est pas du tout la même chose.
Pour le moment, donc, l'interprétation d'un rôle est je pense "bridée" par le manque de conséquences de nos actes sur le monde. Un certain nombre d'outils permettant de responsabiliser les joueurs en leur permettant de faire vivre leur personnage *dans le jeu* ne serait pas un luxe. A mon grand désespoir, et à la différence de ce que j'ai pu connaître dans mes précédentes expériences mmorpgesques, j'en suis réduit à faire vivre Thanys sur les forums et par un peu de blabla IG, accréditant ainsi l'idée déja bien répandue que "le roleplay, c'est du beau discours"....
Je ne débattrai par sur les solutions pour linstant. Il me semble quil est dabord important de faire en priorité un état des lieux. Il faut reconnaître le problème, le délimiter précisément.
Les solutions ? Elles ne viennent que si elles sont demandées ! Et qui les demande ? Et pourquoi ?
Les éditeurs ne les demandent pas ! Quelques joueurs (quelques uns seulement) témoignent de problème en rapport à linterprétation et aux rôles. Mais si cest à nous de témoigner des problèmes, cela demeure aux concepteurs de demander et de discuter les solutions avec les gens qui les soulèvent.
Mais pensez vous quun jour une minorité de joueurs pourra faire changer ce genre de chose ? Je crois que cela serait plus un mal quun bien : le moteur du jeu est déjà définit dans ses limites. La minorité ne doit pas simposer sur la majorité. Et enfin cette même minorité est rarement unie pour exprimer le même problème.
Face à cela : pourquoi fournir des solutions ?