Journal de Loaï, Atys 2525

Moderator: Chroniques d'Atys

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kybalion
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Journal de Loaï, Atys 2525

Post by kybalion »

Aujourd'hui est un grand jour… Chacun d'entre nous l'attendait et le redoutait à la fois, sombre mélange d'espoir et de crainte teinté de l'écho lugubre des cris et des pleurs de ce qui nous ont quitté lors de la Grande Invasion.
Il fut un temps, jadis, où l'Hominité brillait de milles feux, mais j'étais trop jeune pour me rendre compte de la richesse que nous possédions et dont le souvenir a été communément occulté, peut-être par respect pour ceux qui se sont battus pour la préserver.

Je me souviens…

J'aimais à jouer avec les Yubos dans les hautes herbes qui bordaient notre maison. Moi et mon frère y passions des heures, voire des journée entières lorsque mon père se rendait à Zora pour y vendre le fruit de son travail : depuis des années (des siècles me semblait-il tant les récits de mon père et de mon grand-père semblaient intemporels), ma famille était reconnue jusqu'à la capitale et bénéficiait d'une réputation ferme grâce à l'endurance et la robustesse des mektoubs de l'exploitation. Il n'était pas rare de voir des voyageurs traverser le continent pour venir quérir un de nos animaux : quel plaisir de les entendre narrer leurs voyages. Nous étions fiers de nos montures et accueillions nos visiteurs avec tous les égards qui leurs étaient dus ; mes moments préférés étaient ceux passés à les écouter le soir auprès du feu, après un bon repas dans la grande salle à manger préparée pour l'occasion. Je me laissais souvent aller à rêvasser d'expéditions dans les Hautes Forêts Matis ou même de missions secrètes au lointain Pays des Lacs, je tremblais en repensant au terrible Peuple des Dunes de nos anciens récits. L'imagination d'un enfant est sans limite et pourtant, même dans mes cauchemars les plus fous, jamais je n'avais imaginé les horribles évènements de cette nuit là.

Mon père était rentré tard de la ville, relativement satisfait de sa journée. Comme à chaque fois, il revenait plus chargé qu'il n'était parti et nous nous empressions de grimper à l'étage de notre grande étable pour contempler les trésors qu'il déballait aussi méticuleusement qu'un tailleur d'ambre polit son œuvre. Le rituel nous était familier : ma mère et ma grand-mère s'affairaient à mettre les vivres à l'abri des mektoubs que l'odeur rendait parfois agités. De son côté, mon père et mon grand-père déchargeaient cuir et bois d'eyota dont ils se servaient pour fabriquer selles et sacoches pour nos montures.

Nous étions encore jeunes mon frère et moi pour nous occuper ou monter les mektoubs. Evidemment, nous n'en étions pas à notre première chevauchée et nos fondements s'en souviennent encore. Nous avons plusieurs fois eu l'impression de frôler la mort en nous prenant pour d'intrépides explorateurs bravant milles dangers et affrontant les terribles torbaks rôdant dans les contrées reculées et sauvages de notre beau pays. Les torbaks…. Mon père se souvient d'un épisode épique où plusieurs éleveurs durent patrouiller pendant des nuits, montant la garde le long des pâturages pour protéger des animaux d'un félin colossal que la Goo avait rendu aussi enragé que possible. La « Bête » telle que la nommaient les guerriers rapidement improvisés et armés de fourches et de lames, attaquait la nuit par surprise, emportant avec elle tout ce qu'elle pouvait tuer : sa fureur (ou son aveuglement) était telle qu'elle n'hésitait pas à s'attaquer à nos plus grosses montures dont un coup de trompe aurait suffi à défoncer la plus solide des clôtures. La chasse dura plus de 5 nuits consécutives jusqu'à ce que le torbak soit enfin repéré et vaincu par le fer (et la magie d'un voyageur Matis venu nous acheter une monture qui s'était proposé pour prêter main-forte à l'expédition nocturne). Tout cela pour dire que la chevauchée à dos de mektoub ne nous était pas inconnue mais si nos parents l'avaient appris, je n'ose imaginer les conséquences pour nos postérieurs déjà si malmenés.
Je m'écarte du sujet tant mes souvenirs m'assaillent, il est impressionnant de se rendre compte à quel point le moindre détail peut vous revenir au moment opportun…

Nous étions donc une fois de plus cachés dans l'étable qui nous avait été fortement décommandée par mon père à cause du danger potentiel représenté par les animaux. La pluie battait les collines depuis déjà plusieurs heures et cela semblait inquiéter mon père comme si le temps changeant était de mauvaise augure. Des rumeurs l'avaient semble-t-il inquiété, des colporteurs de Zora lui ayant rapporté que des expéditions étaient sur le point d'être entreprises (si ce n'était déjà fait) dans les contrées désertiques du nord.

- « Ces peuplades belliqueuses nous attireront des ennuis à tous » avait-il dit en se passant la main sur le masque dégoulinant de pluie.
- « Que les kamis nous préservent de leur folie » rajouta-t-il en expliquant que plusieurs explorateurs et guerriers en quête de richesses mais prétextant une sainte croisade avaient pris la route vers les Racines Primaires de la planète.

Une fois les mektoubs déchargés et nourris, tout le monde repris la direction de la bâtisse principale, dans l'ambiance maussade qu'avait communiquée mon père à l'ensemble de la famille. Il était simple de regagner nos chambres respectives (que nous n'aurions d'ailleurs pas du quitter pour assister à l'épisode de l'étable) par la cour extérieure. Il n'en fallait pas plus pour attiser l'imagination de deux jeunes Zorais pour qui s'endormir serait à présent un véritable supplice et qui ne demandaient qu'à laisser s'échapper une myriade de questions. « Est-il vrai que ces peuplades sont des barbares ? Est-il vrai qu'ils recherchent une créature gigantesque qu'ils appellent un Dragon ? Les Racines de la planète sont profondes ? »

Comme je l'expliquais déjà précédemment, l'imagination des enfants est sans limite mais leur curiosité est aussi proportionnelle à leur faculté de rêver !

La journée n'avait pas été de tout repos, les yubos à peine sevrés nous avaient tenus en haleine pendant des heures et la fatigue ne tarda pas à nous gagner mon frère et moi. Je crois que ce sont ces moments là qui me manquent le plus lorsque j'y repense : être blotti dans son lit en entendant la pluie tomber au dehors est un véritable moment de pur bonheur et d'insouciance. Jamais je n'aurais imaginé que cet instant allait être le dernier (du moins, de cette manière là). La pluie s'était calmée et j'entendais juste le « ploc-ploc » habituel des dernières gouttes tombant des arbres sur le toit, j'avais encore la tête pleine de ces expéditions et des vieilles histoires que me contait ma mère pour m'endormir lorsque j'étais plus petit et pensais déjà à la journée qui m'attendait le lendemain.

…..

Soudain, une porte claque, rêve ou réalité ? Je dormais déjà depuis plusieurs heures quand le tumulte ambiant me tira de mes songes. J'entendais mon père crier sur les mektoubs dont le vacarme était assourdissant ! Mon frère était déjà à la fenêtre quand j'entrais dans sa chambre et me fit signe d'approcher pour regarder avec lui la cause de tout ce chahut. Les animaux n'avaient jamais été aussi agités et les efforts de mes parents pour les calmer ne faisaient qu'empirer les choses.

Je crois que la peur commence comme un murmure, un chuchotement d'abord singulier et presque innocent qui vous alerte que quelquechose va se passer.

Il faisait encore nuit mais des lueurs ou plutôt un halo semblait éclairer la jungle en direction du nord, en direction de Zora. L'air était étrangement calme, pas de vent, juste une ambiance chaude et feutrée qui dénotait avec les hurlements des bêtes que mon père s'évertuait à contenir dans l'étable. Une légère brume tapissait le sol, il avait fait très chaud malgré la pluie incessante de la journée et l'évaporation rendait l'atmosphère encore plus oppressante.

Je me demande encore aujourd'hui si ce vrombissement était issu de mon imagination mais j'eu l'impression que la terre vibrait sous mes pieds. C'était presque imperceptible mais les mektoubs avaient du le ressentir depuis déjà bien longtemps.
Le murmure de la peur laissa céda rapidement sa place au souffle de la panique en voyant les efforts vains de mon père pour contenir la fureur des animaux se jetant de toutes leurs forces contre les portes. Alors que nous sortions mon frère et moi pour prêter main forte à mes parents et grands-parents, un craquement sinistre mis un terme à l'agitation dans l'étable. Je ne saurais dire si cet instant dura plus de quelques secondes mais il sembla durer une véritable éternité pendant laquelle nous nous regardâmes tous sans comprendre comme cette tempête pouvait trouver une fin aussi brutale. Avec un peu de recul, je crois que nous n'avions pas encore réalisé que tout cela n'était que le calme avant la véritable tempête et les barrissements décuplés des mektoubs déchirèrent la nuit tandis que des hurlements inimaginables emplirent d'abord l'étable puis toute la forêt. Les dernières images dont je me souvienne sont celles de mon père me hurlant à moi et mon frère de courir nous mettre à l'abri. Derrière lui, à la lisière de la jungle, une ombre se dressait tandis qu'une odeur écoeurante se répandait et masquait même celle des mektoubs hurlants.

Une odeur de peur… une odeur de mort… Des cris, le bruit de centaines de pattes tout autour de nous, le vrombissement s'était transformé en martèlement presque palpable et mon cœur battait dans mes oreilles tel un tambour alors que je courrais la tête la première dans les hautes herbes sans me retourner. J'entendis mon frère Tseng crier derrière moi et le cliquetis sordide qui masqua ses râles me mit dans un état second. Je ne saurais dire si j'avais encore toute ma tête quand je sentis le sol se dérober sous mes pieds parmi les fougères qui me dépassaient d'un bon mètre… un trou béant sous mes pieds… une lourde chute… une odeur familière… je rampais droit devant sans me retourner, terrorisé par le martèlement au dessus de ma tête, soudain je sentis une présence contre mon épaule et poussait un hurlement avant de m'effondrer, inconscient.

Aujourd'hui est un grand jour… Je n'ai pu empêcher une larme de rouler sur mon masque lorsque j'ai posé le pied sur Atys. L'herbe fraîche et odorante y a recouvert le sang de nos Aînés mais le vent continuera encore pendant des générations à porter en son sein la rumeur des combats qui se sont déroulés ici, il y a des années. A quelques mètres devant moi se trouve toujours le terrier de Yubos à qui je dois mon salut.
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naia
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Re: Journal de Loaï, Atys 2525

Post by naia »

c'est une histoire bien triste que tu nous contes là Kybalion...

Comme la plupart de celle que j'ai pu entendre à propos de la Guerre des Kitins, elle porte le poid du chagrin et l'horreur de la guerre.

Merci d'avoir partager ce souvenir qui, pour nous qui n'y étions pas, consistue un élément tangible et terrifiant de ce qui ne semble être qu'une légende déjà lointaine.

J'espère que nos chemins se recroiseront un jour, sur un autre pré verdoyant ou dans les sombres nids des kitins.
Un bisou, un ami.
Naïa
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