Il frissonna. Il se leva doucement. A côté de lui, Shellyna s'agita mais resta plongée dans le sommeil. Il resta longtemps à observer le corps de sa guerrière, admirant les reflets de l'eau sur ses courbes parfaites et ses couettes violettes. Il souriait en voyant les traits fins de son visage que venait souligner la cicatrice sur sa joue.
Comme à son habitude, quand une atmosphère malsaine l'étouffait, il prenait son paquetage, le strict minimum pour pouvoir prendre un nombre impressionnant de bouteilles de psykopinthe, et partait vadrouiller à l'extérieur. Un réflexe, un restant de son époque de réfugié quand il vivait avec son clan disparu. De toute façon il avait toujours eu du mal à rester dans l'appartement, il avait toujours eu besoin d'air et d'espace.
Il fourra silencieusement ses amplificateurs magiques dans son sac et son matériel de forage, y jeta une poignée de fruits et un morceau de viande séchée puis s'équipa partiellement de sa vieille armure lourde. Il allait décrocher sa hache dans le râtelier quand il se ravisa.
Un petit quelque chose le travaillait, une étrange impression ou un pressentiment. Qu'importe ! Il sentait qu'il devait le faire ! Un besoin impérieux comme qui dirait.
Il griffonna quelques mots à l'attention de sa belle : « Y ameen'eli sul tolldoy .... yem ny-skaya ». Il les savait sincères, il savait qu'elle les comprendrait.
Il fit le tour de l'appartement, embrassant avec légèreté les enfants, de peur de les réveiller. Le lit de Ronron était vide, certainement endormie dans les bras d'Oiro sur une plage. Il s'arrêta à nouveau devant Shellyna. Il avait une envie furieuse de l'étreindre dans ses bras avant de partir, mais il hésita, sa main effleurant doucement le grain de sa peau, sensation voluptueuse au bout des doigts.
- « Ny-aaamn... », gloussa-t-elle toujours endormie.
Il s'éloigna lentement, agrippa enfin sa hache et sortit dans l'air frais du matin.
Les odeurs lacustres frappaient ses narines. Encore une fois, cette étrange sensation. Il huma l'air comme pour garder un souvenir de cette odeur, regarda le paysage qui s'offrait à ses yeux et la vie qui s'éveillait doucement à Fairhaven. La magie des Lacs ! Leurs magies naturelles, bien plus puissante que celles des kamis.
Puis il brisa presqu'à regret un pacte pour les Lagons de Loria. La lumière bleue, froide, impersonnelle des pactes karavan. Et la blancheur éclatante de la sciure éclairée par le soleil lui sauta au visage au point de lui faire plisser les yeux.
Il acheva de mettre son armure lourde, ses mains se resserrèrent sur le manche de son arme et il s'élança au hasard, sans but précis, juste pour dérouiller ses muscles engourdis.
Mais bientôt il devrait se mettre à la recherche de sources de matières pour quelques pièces d'armure. Un vieux foreur tryker lui avait indiqué un endroit qui, d'après ses dires, valait son pesant de dappers et ferait sa fortune.
Le vieil homin était trop saoul quand il lui avait parlé de cette source fabuleuse et ses indications trop hasardeuses. Aussi Tomelin passa une partie de la journée à tourner en rond à la recherche de cette souche noire sensée se dresser vers le ciel, aussi droite que l'arrogance d'un matis.
La faune était toujours bien active. Il évita un groupe de torbaks en train de se repaître du cadavre d'un wombai, mais pour se faire il longea une falaise.
Il n'était pas à ce qu'il faisait.
Le pêle-mêle de ses pensées entravait sa conscience et sa vigilance battait de l'aile comme un izam blessé. La fatigue aussi n'arrangeait rien
Soudain un cri strident, cette plainte lugubre si caractéristique et tant détestée. Tomelin eut juste le temps de lever le manche de sa hache et de parer l'attaque du kirosta surgi de derrière une anfractuosité de la falaise. La violence du coup le projeta au sol et lui coupa le souffle.
Le kirosta s'élança pour le piétiner. Le tryker roula sur le côté et se releva rapidement, le souffle encore court.
L'homin et le kitin s'observèrent un instant puis, dans un rugissement commun, s'élancèrent l'un vers l'autre. Le choc sourd des deux corps caparaçonnés effraya quelques herbivores et résonna longtemps le long de la falaise. La hache du tryker virevoltait dans une danse mortelle cherchant un point vital à meurtrir tandis que les appendices du kirosta étaient animés d'une rage froide et instinctive
L'homin et le kitin s'observèrent un instant puis, dans un rugissement commun, s'élancèrent l'un vers l'autre. Le choc sourd des deux corps caparaçonnés effraya quelques herbivores et résonna longtemps le long de la falaise. La hache du tryker virevoltait dans une danse mortelle cherchant un point vital à meurtrir tandis que les appendices du kirosta étaient animés d'une rage froide et instinctive
Tomelin évita de justesse le dard suintant de poison mais une des pattes du kirosta le toucha à la tête faisant voler au loin son casque lourd. Assommé, la sève de sa blessure transformant sa vision en un brouillard rouge, il donna un violent coup d'épaule pour déséquilibrer le kirosta tandis que sa hache frappait à l'opposé et sectionnait une des pattes à la jointure.
Le kirosta chancela sous la double attaque et s'écroula sur le sol.
La hache s'éleva mais le sourire de joie du tryker s'effaça quand le kitin se remit rapidement sur ses pattes et lui fit a nouveau face. Le kirosta se redressa de toute sa hauteur et rugit sur le tryker, défiant ce dernier de toute sa malignité. De rage, Tomelin lui répondit en lançant son cri de guerre et s'élança à nouveau sus à la bête.
Le ballet mortel reprit, les adversaires se rendant coup pour coup. Tous deux pissaient la sève de multiples blessures et les poumons de Tomelin ressemblait à un feu de forge fyros à plein régime. Ses muscles douloureux le faisaient maintenant grimacer à chaque coup. La hache devenait trop lourde à lever et les attaques s'espaçaient imperceptiblement. Le combat devait cesser rapidement. D'une manière ou d'une autre.
Le tryker recula pas à pas, l'armure dans un piteux état, parant les coups de sa hache, guettant l'instant propice.
Le tryker recula pas à pas, l'armure dans un piteux état, parant les coups de sa hache, guettant l'instant propice.
Le kirosta le suivait mais glissa sur la sciure gorgée de sève. Son corps s'affaissa, l'attention de la bête occupée à garder l'équilibre.
- « Maintenant ou jamais ! », murmura le tryker, levant déjà haut la hache dans le ciel.
Il l'abattit de toutes les forces qui lui restaient sur la tête du kitin. L'arme éclata la carapace, libérant des humeurs visqueuses, se fichant dans les couches inférieures. Au passage la lame de la hache avait volé la vie du kirosta.
Dans un sursaut instinctif, la bête se redressa en rugissant, ses membres animés de tremblements particuliers. Le dard vola vers Tomelin et se ficha dans son épaule gauche, faisant volet en éclat le manche de la hache.
Dans une pantomine morbide, une dernière danse, le kitin et l'homin tournèrent encore une fois ensemble avant que le kirosta ne s'écroule au sol, sans vie.
Tomelin hurla, le dard toujours fiché dans son corps, le poison se déversant en flot continu. Il enleva péniblement l'appendice mais le liquide mortel s'insinuait irrémédiablement dans ses veines. Il le sentait couler doucement, petit à petit, attaquant sa vitalité inexorablement.
Il quitta le lieu du combat non sans saluer une dernière fois son ennemi. Un adversaire maudit, mais après tout...
Il prit le chemin du Lac, les plages étant relativement plus sûres. Le poison rendait son jugement mortel à chaque seconde et se déplacer demandait un effort de plus en plus difficile. Il avait l'impression que de la résine bouillante glissait sous sa peau. Il se sentait à l'étroit dans son armure, aussi il jeta les pièces ébréchées au sol, petit à petit, signalant son passage comme un jeu de piste.
Le Lac était en vue, il ne voulait pas rentrer à Fairhaven. Le moindre mouvement lui coûtait. Il s'adossa péniblement à un olansis. Le poison se rapprochait de son coeur, il en sentait la progression. La douleur le fit grimacer à nouveau.
- « Ptet que... Jena va.... », commença-t-il dans un réflexe de peur superstitieuse.
Il chercha une bouteille de psykopinthe en tâtonnant dans son sac, la déboucha et en avala une copieuse rasade. La brûlure de l'alcool se mélangeait à celle du poison. La grimace était toujours là mais le plaisir en plus.
- « Bah Jena elle fera ce qu'elle veut.... après tout », fit-il en levant légèrement la bouteille à sa santé, « La boucle est bouclée ! Les kitins m'ont fait naître.... ils reprennent ce qu'ils ont créé. »
Le soleil se couchait. Tout prenait cette teinte orangée qu'il affectionnait tant, celle d'instants si délicieux. Des flots de souvenirs refirent surface, charriant des moments de joie, des visages, des sourires, mais aussi des mains tendues, toutes ces images s'échouant les unes après les autres sur ce qui lui restait de conscience.
Il porta la bouteille à ses lèvres mais elle lui échappa, roulant doucement jusqu'au bord de l'eau.
Il porta la bouteille à ses lèvres mais elle lui échappa, roulant doucement jusqu'au bord de l'eau.
- « Shelly..... », lâcha-t-il dans un dernier souffle.