Hauts étaient les murs de notre pays, destinés à nous protéger des peuples barbares du nord.
Lorsquon marchait sur les chemins de ronde, on se sentait comme si on pouvait toucher la canopée en levant les bras, et on surplombait les doraos.
Den haut des murs, toute la Jungle soffrait à nous, les étendues vierges comme les plaines de goo, les routes vers le nord sauvage comme la grandeur de Zoran, notre capitale.
Mais depuis plusieurs jours, tout ce que lon voyait au pied du mur était un campement. Des réfugiés barbares venus du nord, des Trykers, arrivant par centaines, et samassant aux portes chaque jour, implorant, hurlant, suppliant, maudissant, menaçant pour les plus vindicatifs.
Tous voulant entrer dans notre beau pays. Je nétais pas né alors, mais on ma conté, comment il y a de ça deux cent cernes, des Trykers étaient arrivés ainsi, à nos murs, suppliant quon les laisse entrer. Les gardes dalors navaient pas cédé, et dautres barbares, les Matis, étaient venus les chercher, massacrant les plus récalcitrant, les plus vieux et les plus faibles, et capturant les autres. Ma-Duk seul sait ce qui serait advenu si nous avions laissé des peuples capables de telles horreurs entrer dans nos belles cités.
Rien navait changé depuis. Nous avions ordre de ne rien faire. Ne pas ouvrir. Ne pas aider. Ne pas nourrir. Ne pas attaquer non plus, ni eux, ni les chevaliers Matis quand ils arriveraient pour les prendre. Eux non plus navaient pas changé, dans leur frivolité, ils avaient même été incapables dapprendre une leçon qui leur avait coûté aussi cher.
Cest au quatrième jour que les cris et les suppliques changèrent, devenant des cris deffroi, quand dimmenses créatures sortirent de lorée de la Jungle, chargeant les malheureux qui étaient en bas, à nos pieds. Alors quaux portes les suppliques se firent plus pressantes, que les poings tambourinaient vainement, aux limites du camp sélevaient les premiers cris dhorreur et dagonie, tandis que lennemi qui les avait rattrapés ne faisait de bruit que celui de leurs mandibules et griffes vicieuses déchirant les chairs. Mais quelle hérésie les barbares du nord avaient bien pu commettre cette fois pour déchaîner de pareils monstres ?
Aux cris désespérés des Trykers, faisaient écho ceux des officiers qui avaient fort à faire pour empêcher les soldats douvrir le feu sur les insectes géants qui étaient à porté des tourelles. Nous ne devions rien faire.
Mais comment ne rien faire dans ces conditions ?
Ce nétait pas là les barbaries des Matis en quête desclaves, ni des hordes pyromanes du désert venues brûler nos bibliothèques, mais des créatures dont nous ignorions alors tout, qui massacraient homins, homines et enfants sans discrimination.
Et irrémédiablement, les bêtes avançaient vers le pied du mur, et les cris se faisaient plus proches, plus forts, et plus nombreux.
Je sentais quelquun me serrer le bras, et je vis Han Gyu-Jin, un autre garde, qui me dévisageait. Son masque était inexpressif, mais nul besoin de visage pour le comprendre. Il nen supporterait pas davantage, et moi non plus dailleurs. Nous prîmes donc lascenseur qui nous fît descendre au bas du mur, et nous dirigeâmes vers lécurie.
Aujourdhui encore, jai honte de ladmettre, mais nous avions bien lintention de déserter le mur. Pourtant, alors que nous nous en éloignions, un grand tremblement nous fît nous arrêter, et regarder par-dessus nos épaules.
Le Mur, chef duvre darchitecture magnétique, lune des plus grandes constructions homines, et sans nuls doutes la plus imprenable des forteresses, était en train de seffondrer vers le nord, écrasant ce qui restait du camp Tryker ainsi que leurs assaillants, qui en avaient sûrement sapé la base.
Et nous, nous les avons juste regardés faire, sous prétexte que ceux qui demandaient notre aide à nos pieds nen étaient pas dignes. Puissent les générations futures pardonner notre bêtise.