Elle ouvre son sac, en vérifie le contenu. Elle le referme avec délicatesse et, pioche en main, part en direction de son lieu habituel de récolte. Il est assez éloigné de l'aura rassurante du kami mais il a le mérite d'être plus calme - et surtout mieux fourni - que d'autres zones plus proches.
Elle traverse une forêt de jublas touffus et se griffe l'épaule en se faufilant. Elle ne regarde même pas sa blessure. Elle ne peut pas rester immobile. Les varinx ont certainement déjà flairé sa présence et la dernière chose dont sa famille a besoin, c'est qu'elle serve de déjeuner aux habitants de la zone.
Elle passe près d'un attroupement de yelks afin de masquer son odeur. D'ici elle peut prendre quelques secondes pour observer les alentours et reprendre son souffle. Elle regarde autour d'elle, concentrée. Pas de trace des varinx. Elle a dû les semer dans les jublas. Son regard embrasse la grande étendue moussue qui lui fait face. Elle ne voit pas très loin - la seule luminosité étant celle des plantes phosphorescentes.
Un mouvement brusque des yelks l'oblige à repartir plus vite que prévu. Ils ont du sentir la présence d'un danger : varinx, kipesta... Qu'importe. Tout ce que les yelks craignent se révèlera tôt ou tard dangereux pour elle. Elle préfère ne pas suivre les yelks et se diriger dans une autre direction. Le chemin sera peut être plus long mais au moins elle n'aura pas la mauvaise surprise d'être prise entre la proie et le chasseur.
Elle longe une crète bordée de petites plantes plus lumineuses que les autres et jette un coup d'oeil en arrière. Les yelks se sont éparpillés sous l'effet de la panique créée par l'incursion de deux petits varinx dans leur groupe. Des jeunes sûrement : ils jouent un peu avec le yelk qu'ils ont isolé avant de lui porter le coup de grâce et de commencer le festin. Mais les petits varinx n'avaient pas tout prévu : le nuage toxique dégagé par le yelk mort les met en fuite. Ils déjeuneront plus tard.
Quelques enjambées plus loin, au détour d'un monticule de mousse, apparait le campement d'un groupe de homins pillards. Elle décide de le contourner, décrivant ainsi un large demi-cercle autour du campement afin de ne pas être repérée.
Alors qu'il commence à pleuvoir, elle aperçoit peu après la silhouette d'un totem kitin - très certainement érigé par une tribu homine qui les vénèrent autant qu'elle vénère les kamis -, signe qu'elle est bientôt arrivée. Elle va pouvoir souffler un peu avant de se mettre au travail.
Elle s'arrête sur une petite butte recouverte de mousse et de quelques plantes lumineuses, lui permettant ainsi de voir le danger venir. Elle pose son sac à côté d'elle et commence à prospecter la zone. C'est bien ce qu'elle craignait : il pleut et les gisements se font rares. Elle va devoir attendre.
Elle reprend son sac et se dirige vers une paroi poreuse proche afin de s'abriter du mieux qu'elle peut de l'orage de sève. Elle fouille dans son sac à la recherche du petit paquet que lui a donné une des membres de sa famille avant qu'elle ne parte. "Quand tu seras toute seule en bas, ouvre-le et tu verras ça ira mieux." Elle sort le paquet enveloppé dans un petit morceau de fibre de la jungle et le défait. Elle en dégage une feuille de batao recouvrant un bout de gâteau au miel et aux graines. Elle sourit.
Elle repart bientôt en direction de sa butte prospecter quelques matières. La pluie a cessé et le sol va être plus meuble maintenant. Une chance : elle pourra retourner plus vite auprès de sa famille.
Elle sait qu'elle doit rester sur ses gardes en permanence, afin de ne pas se faire surprendre par un animal en mal de repas. Elle écoute les animaux alentours vivre leur vie dans le noir permanent. Au loin, elle croit voir une lueur se refléter l'espace de quelques instants. Fausse alerte. Les nappes de brumes faussent toute tentative de voir à plus de quelques dizaines de mètres. Elle se reconcentre sur son forage et met les matières au fur et à mesure dans son sac, qui se remplit assez vite. Elle est contente d'elle. Tout se passe pas trop mal.
Elle se souvient de moments difficiles dans cette partie des Primes Racines : le jour où elle a croisé des karavaniers avec une de ses soeurs alors qu'elles partaient forer, et auxquels elles ont échappé seulement grâce à la magie des kamis. Ou encore cet autre jour, un hiver - elle avait si froid qu'elle avait mis un pantalon sous sa jupe et deux paires de gants - durant lequel elle s'est perdue et s'est retrouvée bloquée dans une grotte - la sortie étant bouchée par toute une famille de tyrancha aggressifs -, et qu'il avait fallu l'intervention inopinée d'un groupe de chasseurs fyros venus chercher des peaux de varinx, pour qu'elle puisse enfin en sortir, le corps et le masque engourdis par le froid ambiant.
Perdue dans ses pensées, elle note une légère variation dans la zone qui l'entoure sans pouvoir la définir. Soudain, elle comprend : il n'y a plus un bruit. Plus de grognements de varinx, plus de battement d'ailes des kipestas, même les homins qu'elle a croisé se sont tus. Seuls quelques gubanis continuent à brouter autour d'elle dans le calme et l'insouciance les plus complets.
Prise de tremblements, elle lâche sa pioche et s'affère à mettre toutes les matières qu'elle a extrait dans son sac. Au bout de plusieurs longues minutes, elle referme enfin son sac, en vérifie les sangles et s'aperçoit qu'elle a oublié de sortir la petite perle de sève qui la ramènera auprès des siens.
Elle ouvre à nouveau son sac, à la recherche de la perle kami. Son bras s'immobilise soudain quand une ombre de plusieurs mètres la recouvre elle et une partie de sa petite butte.
Elle le connait. Il règne sans partage sur son territoire. Il se nourrit de tout ce qui lui passe entre les griffes. Même les membres de sa propre espèce le craignent.
Elle sait qu'il ne lui laissera aucune chance. Ce n'est pas un jeune varinx. Il n'est pas venu pour jouer. Il est venu pour tuer.
Sa main continue de fouiller son sac à la recherche de la perle.
Elle se souvient alors du reflet lointain et se dit qu'elle aurait dû être plus prudente. Perdue dans ses pensées, elle ne l'a même pas entendu venir... Et maintenant il est là. Devant elle. Il n'attend qu'un mouvement de sa part et il frappera. Sans merci.
Elle se remémore alors un conte qu'elle entendit peut après la remise de son masque par les kamis. Il est dit, que parmi les kitins, certains chassent, d'autres récoltent ou encore servent de réservoir à nourriture. Mais, il est dit également que des animaux plus gros et plus dangereux existent. Malheureusement peu de ceux qui sont partis à leur rencontre sont encore là pour en parler.
Elle frissonne. Qu'attend-il ? Les plantes lumineuses font danser des reflets sur la chitine du kitin. Elle a peut être sa chance finalement.
Ses doigts se referment enfin sur la perle de sève.
Elle referme doucement son sac et alors qu'elle tend le bras vers sa pioche, le kitin hurle. Il sait qu'il est le plus fort. Les animaux le savent. Les pillards le savent. Elle le sait. Ce cri lui vrille les oreilles à lui en faire tourner la tête. Ses mouvements sont désordonnés. Elle attrape son sac d'une main mais il est trop lourd. Il faut qu'elle passe la sangle autour d'elle pour pouvoir enfin le soulever.
Les gubanis s'affolent soudain. Ils essaient de s'enfuir mais dans leur précipitation se gênent et ne vont pas bien loin.
Elle prend une grande inspiration. Elle essaie de se relever mais ses jambes refusent de la porter. C'en est fini. Elle ne reverra plus ses soeurs. A cause de lui. Non à cause d'elle même. A cause de son imprudence.
Un coup l'atteint dans le dos. Elle s'effondre. Avant de sombrer dans l'inconscience, elle se rappelle la fin du conte, qu'elle a autrefois entendu :
"Beaucoup de homins
de tes griffes furent victimes,
Toi Korzin,
Seigneur sous les Racines."
[hrp] C'est mon premier texte dans cette section en deux ans de jeu. Soyez pas trop méchants d'accord ?
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