« toc-tchac »… « toc-poom-poom »… "toc-tinki-tinki"..."toc-toc-tounk…" "tchac-tchac…"
Dans les petites mains des enfants, les bâtonnets entrechoqués d’Abhaya, de Kachin, de Motega, de Tama, et d’Eyota saluèrent les mots de l’ancien.
Le très vieux et très vénérable Ma-Sung Dhao tapota le bord renflé d’une lourde pipe en bois blanc.
Un fin filet de fumée serpentait doucement au-dessus d’un tabac de fibres macérées de shooky.
De mémoire d’enfant, les souvenirs des saisons passées à Hoï-Cho, avaient cette odeur d’écorce âcre et de miel enrobé du santal des humus humide de pluie, évoquant la silhouette ratatinée de leur vieux conteur.
Quel plus merveilleux et plus sage auditoire que celui du rêve éveillé d’une vingtaine de gamins de sept à dix ans.
Tous ces masques blancs où ne courraient encore aucune marque de bravoure au détriment de la sève versée.
Aucun tatouage contant l’éloge de faits légendaires qui aurait vu s’éteindre d’autres légendes pour que leurs héros les y survivent.
Aucune corne de la fureur, de la colère ou du péché n’entachait la pureté virginale de leur regard d’opale.
Il ne brillait dans leurs yeux, que la convoitise du reflet de rêves d’ambre rare, augustes horizons fauves et aurores flamboyantes au travers de la chevelure égrenée de perles de pluie des lianes de la jungle.
Derrière le disque de leurs prunelles, par delà la frontière menant à leur imaginaire, les izams avaient des noms d’homins, et les mektoubs avaient porté les alliances du mariage de guerriers et de guerrières zoraïs tout cela sous le regard bienveillant d’un Kami portant une toque multicolore et faisant des grimaces pour les faire rire…
Inhalant au bec fin de la pipe de blanc cassé des Primes Racines, le conteur y puisa une longue inspiration d’imaginaire. Le lent et doux envoûtement de la fumerole, câlinant ses songes et reposant son corps, l’entêta à poursuivre la narration de ce que les muses de Ma-duk lui chuchotaient en secret.
... elles ne parlaient qu’à lui, qu’à la nuit tombée, et les grillons leur prêtaient leur chant…
« Woha les enfants ! Je vais vous raconter une des histoires des esprits d’Atys, une de celle où les démons se querellent avec les plus jeunes peuples, et qu'à Atys et vers Ma-Duk nous retournons quand la fin de notre pousse de vie survient »
Murmures dans l’assistance des petites têtes blanches.
“toc-toc-tounk”
- Mais est-ce qu’il y aura des kinsssers ô grand saze Massung-zhao ?
- Il y aura des grands Kinchers et même les grands Kipukas qui de leurs cris ont glacé le sang de bien des grands guerriers !
- OUHYAA !!!
- HIIII !!!
- Par le grand Ma-zuck ! Si z’avais su… !
L’encensoir blanc quitta les lèvres du vieux zoraï et un cercle de fumée prit son envol au-dessus de l’assemblée.
Un ravissement soupiré invita le vénérable à poursuivre.
« Il était une fois, dans l’impénétrable nuit des Primes Racines… »
Petite agitation dans l’assemblée.
- nan mais demande toi, moi z’ai déssà demandé…
- …
- si, dizy le lui, c’est bien ce que tu penses à quoi…
« Hum…les enfants, les muses ont beaucoup de choses à vous raconter, alors on va pas trop les faire attendre »
“toc-toc-tounk”
- Et est-ce qu’y z’y seront les serpents makisssss ? Passe que papa dit que les serpents makisss sont pires que les grands kinsssers…
- Hum… il y aura un matis, un matis au cœur noir qui avait de la sève homine sur ses mains… de la sève des zoraïs !!!
- OUHYAAA !!!
- HIII !!!
- Par le grand Ma-zuk ! Si ze savais c’était qui ce makisss noir !!!
Une paire de petits poings s’agita avec colère et moulina l’air très vite, frappant une grosse bulle de savon imaginaire…
« Oui... oui, nul doute qu’ils sont facilement impressionnables ces matis, et quand ils hantent vos pensées, il faut chasser leur mauvais visage en secouant le brouillard qui tourne au-dessus de vos têtes… allez ! Tout le monde chasse l’image du matis noir car il n’est pas encore venu l’heure de voir ce sinistre visage… »
Le sage tourbillonna l’air de son grand calumet et agita mollement son poing dans la densité diaphane de la fumée.
Aussitôt, une vingtaine de petites paires de poings énergiques, serrant les bâtonnets "Katchok", brassèrent la grande et fictive bulle de savon qui contenait vingt visages fabulés du même matis : La peau noire avec de grandes dents, des yeux globuleux d’araignée, des boutons sur un visage sec, gras, de forme tordue, allongée, étirée, bouffie, émaciée… « et en forme de kinssser avec des boutons gras aussi, z’en ai déssà vu un comme ça »…
« Et maintenant… ! On tape sur les « Katchoks » très fort !!! Très très fort !!! »
« Tchac ! Toc-Toc-Tounk ! TCHAC-POOM ! Ti-Ti-Tinky ! Toc-TOUNK !!! TOC !TOC ! TCHAC !”
Tout à coups, l’ancien se dressa d’un bond et étendit ses bras de chaque côté animé du désir pantagruélique d’engloutir tous les enfants sous son ombre… !
- HIIII !!!
« Tounk… »
La voix éclata, sépulcrale :
« Il était une fois, dans l’impénétrable nuit des Primes Racines… Là où les rayons du soleil n’ont jamais touché le sol même au grand jour de la grande éclosion …(ha oui ! la grande éclosssion ze le savais…
et où les créatures qui rôdent sont faites de l’ombre de la Grande Nuit (Houya...!)»La voix du conteur se fit d’un coup plus basse, les enfants se ruèrent d’un même élan au plus près de lui.
« …un groupe de chasseurs en maraude, se faufilait entre les champignons géants et les plantes aux tiges si grande qu’elles portent la voûte des étoiles des Primes… »
« … les chasseurs connaissaient les lieux mieux que quiconque, leurs silhouettes se fondaient dans la pénombre ambiante comme si l’obscurité était leur manteau. Sur le sol de mousse grise personne ne pouvait deviner leur passage car…aucune trace, aucune empreinte n’apparaissait sous leurs pas !!! »
- …
- Hannn !!! Houbouya !!!
- C’est maintenant le Kinssser ?
« …Depuis des heures déjà, ils étaient descendus plus bas que d’habitude dans les profondeurs des froides Primes.(…il fait très très froid là-bas, c’est sûr ze le sais…
Aucune proie d’importance ou terrifiante sur leur chemin, et de mémoire de guerriers centenaires, jamais une expédition n’avait été aussi peu couronnée de succès : aucun monstre n’avait surgit… et pourtant… et pourtant… »De la pipe du vénérable s’appesantit un nuage de fumée à l’odeur de miel qui berça de ses effluves chaque demi-cercle d’enfants.
Imposant un silence dans son récit, il eut un penchement de tête mystérieux et…
- Tu vas voir, c’est maintenant le Kinssser… ze le sais… ze la connais…
Le sage sourit.
« …et pourtant dans les abysses de la nuit éternelle des froides primes, l’air glacé vibra tout autour des chasseurs, car soudain,...
... le cri d’un seigneur Kipuka déclencha les enfers !!! »
- HAHOUYYAAA !!! HIIIII !!!! HAANNN !!!
*tchac-tchoki-tchunk-tchoc !!!
. . . . . . . . * Toc-TCHAC-POOPOOPOOOM !!!*
. . . . . . . . . . . . . . . . .*TinKY-TOoC-TCHac-TonTONk !!!*
- ZE LE SAVAIS !!!
L’histoire était lancée…
… et Ma-Sung Dhao poursuivit seul sans l’aide des muses, les grillons se turent ; car de ce conte qu’il narra, rien ne fut emprunté au monde de l’imaginaire…
… son passé était sa légende, et ses exploits de jeune homin furent ses mots merveilleux qui envoutèrent jusque tard dans la nuit, les masques blancs et leur innocence...
on s'y croirait . tu as l'art de rendre vivante et passionante l'anecdote la plus insignifiante c'est admirable .