)/HRP/-------------------------------------------------------------------------------------------------
"... La jungle.
La cohorte blanche et noire fendait la végétation sans discontinuer. Une sombre assemblée qui se muait presque sans bruit, effrayant d'un mouvement d'ensemble rapide et sournois, la faune de l'épaisse forêt..."
Foutue chaleur ! Je déteste la moiteur de la jungle. On dirait qu’un cloaque bouillonne mollement sous mes vêtements tant ça dégouline de sueur. Ha ! Quelle idée d’aller s’empêtrer dans ce bourbier végétal !
L’armée du Cercle des Profondeurs avançait vite, trop vite pour son mitrailleur qui traînait la patte en râlant à l’arrière. Les guerriers flanquaient, de parts et d’autres, la longue troupe, protégeant les mages et les enchanteresses. Les visages aux lignes épurées et les airs altiers des arcanistes, étaient ceux des Matis venus de leur lointaine Yrkanis. Un territoire qui n’avait rien de commun avec leur peuple, si ce n’était l’histoire de leur propre roi… Mais les saisons avaient jauni le vélin sur lequel on avait couché le récit de la main secourable accordée par les zoraïs au bon prince Yrkanis en ce temps. Il est plus facile de se quereller que de s’entendre.
Le temps des guerres entre les plus puissantes maisons du monde avait sonné le glas d’une époque. Une nouvelle ère commençait, imposée par les soifs de conquête et de suprématie.
Regardez-les ! Et ça avance, et ça avance ! Ha ça c’est sûr… on laisse le technologue derrière avec ses « artefacts tout juste bon à chasser le capryni allaitant ». Qu’est ce que je suis allé m’embourber alors que j’ai encore tellement de travail, manquerait plus que j’entende piailler les homines s’extasiant sur telle ou telle fleur, plante, arbre, gibaïs…GIBAÏS !!!
La créature mi-homin, mi-bête, avait bondit de sa cachette et avait attendu le dernier de la troupe du Cercle pour attaquer.
« GIBAÏS !!! »
Aucune réaction de la part des guerriers, encore moins des mages qui poursuivaient leur avancée sans entendre les avertissements essoufflés du mitrailleur, encore en train de grommeler.
La créature frappa durement avec ses bras noueux et ses poings fermés dont la grossière rotondité évoquait les formes de la boule d’une grosse masse de guerre.
Il devait se débrouiller seul.
L’armure encaissa les coups faisant cahoter le malheureux retardataire plus qu’ils ne le blessèrent. Un alliage végétal et animal qui avait été fait par Maître Maximus, une armure princière.
« Tu… *boom*…tu …*boom* va vas…*sbam*… me…me…*sbam, sbam*… lache… lachéé...er ? »
La course-poursuite dura un moment ; le Gibaï cognant sans cesse sur l’homin qui ne voulait gâcher ses précieuses munitions sur… « Ça ». Enfin, l’animal essoufflé d’avoir tant tapé et couru, abandonna sa proie non sans lui décocher un dernier tour à sa manière. Un sortilège de glace vint frapper sans trop grande force le mitrailleur.
« Saleté ! »
Shenshantag déboucha sur une clairière et failli finir sa course au beau milieu de la troupe qui avait stoppé là.
« ZO-KIAN ! »
Les chefs militaires du Cercle désignaient l’objectif : une place-forte détenue par la sombre confrérie des Questeurs. L’Ennemi était là, les géants bleus et les farouches guerriers du désert.
Des deux côtés, le déploiement des troupes fut immédiat. Chacun avait un rôle et chacun savait le remplir à la perfection.
Le mitrailleur se dandina sur place et fit tomber lourdement son chargement de munitions.
« J’vais où ? Qui qui prend le poids mort ? Promis, j’essaierai de pas faire de trous par inadvertance dans vos toges… »
Sylvannas fit un signe discret à Shenshantag, l’invitant à rejoindre le chef du commando de Kresselack dont elle était la soigneuse émérite.
Le calme imperturbable de Yunalessia et Mutenroshi contrasta avec la fraîcheur du verbiage tout printanier de la chef toute-puissante du Cercle des Profondeurs : Lilithe.
« Pas de tires-au-flanc, sauf Shen ! HAHAHA ! Vous défoncez leurs lignes, leurs gardes et leurs miches ! Haaa ! Une bataille qui va me faire renouer avec mon ami Tsurani. J’vais lui présenter à lui et à sa clique les hommages du peuple Matis !
CERCLEUX EN FORMATION ! ET MASSACREZ CES… *le hurlement joyeux d’un Bouigisymo sortant subitement des rangs et se ruant pour distribuer des tourtes à l’Ennemi, couvrit la suite du discours de Lilithe*
La chef du Cercle vociféra en voyant le plus incontrôlable de ses cercleux brandir son épée-massue à deux mains et s’engouffrer dans les lignes ennemis en criant : « Youhou ! Les kamistes ! z’est manqué ? » *BLAM, PIF, Paf, Griii-Tzziiii…SBlaaaM*
Aeschli se précipita derrière Bouigisymo pour lui apporter son soutien en magie salvatrice. Elle était déjà exsangue tant le forcené prenait et distribuait de coups. Phyli vint au secours de son amie en l’inondant à son tour de magie bienfaitrice, la revigorant… Pour les soigneurs du Bouiboui, la nuit allait être longue, mais longue…
« BOUI ! BOUIIIIIIIIIIIIII !!!!! REVIENS ICI ! REVIENS… haaaa ! Celui-la ! Aaaaa L’ATTAAAAAQUE ! »
"... Il n'y eut pas de clameurs. Il y eu un roulement de tonnerre accompagnés du chant des éclairs. »
Les Matis fondirent sur l'ennemi. Ils ne laisseraient pas le temps aux Questeurs de se rendre compte de leurs effectifs. Il fallait frapper vite et fort ! La charge fut violente. A défaut de stratégie, le Cercle avait concentré ses espoirs dans les forces expertes de chacun de ses membres : le savoir des mages, la puissance des guerriers et ... « la ruse de SON artilleur…bande d’incultes ».
Si ce n’était la tragédie qui se jouait ici, le choc de ces deux armées prenait toutes les allures d’un spectacle féerique : les sortilèges verts, rouges, électriques se mêlant aux ondes bleutées qui nappaient les protagonistes. Les violets et les émeraudes montaient en spirale autour d’eux. Les reflets d’un soleil couchant jouaient de mille feux sur le rutilant des armures mêlées dans une fresque dantesque et épique.
... Shen avait beau être rapide, le célèbre Tsurani s'apprêtait à le décapiter sur place. Le dominant de toute sa hauteur, le Questeur abattit sa lame : du fil de l'épée ou de la gorge de l'invincible chef kamiste, Shen n'aurait su dire d'où venait le feulement grondé qui fit vibrer l'air de rage libérée.
Un autre grondement défia l'assaillant du mitrailleur : Une armure d'or s'élança, bondissant hors des lignes des cercleux. Les deux lames, l'une destructrice et l'autre protectrice, s'entrechoquèrent avec la puissance du râle du cyclone ! Lilithe et Tsurani, deux légendes, deux volontés, deux tueurs...
... Il n'y eut de spectacle plus étourdissant que la danse macabre et endiablée des épées à deux mains des deux assassins. Chaque coup devait tuer. Pas estropier, mais tuer...
Ils étaient deux grands prédateurs, sorti des flots, venus s'entre-dévorer...
Sans coups férir, le reste des hordes mêlées des Questeurs et des Cercleux, s'entre-tuaient de mille manières : à peine ressouder par les magies thaumaturgiques des soigneurs, les os étaient aussitôt broyés par des coups de masse assénés par des mains forcenées, des chairs gorgées à nouveau de sève, éclataient en une pluie macabre de viscères et d'ichor...
Les Questeurs bougeaient vite. Ils connaissaient ces lieux et ils savaient devenir les prédateurs de ces contrées. L’impertinence de leurs charges bousculait les lignes de défense du Cercle des Profondeurs. Plusieurs fois le nerf de la guerre, les soigneurs, virent l’entrelacs des lames siffler nerveusement au devant d’eux. Le Cercle des Profondeurs avait combattu maints et mains ennemis… Ceux-là n’étaient pas la bleusaille tout juste sortie prématurément de son école de guerre. Il y avait là de grands noms, des vétérans qui rivalisaient de puissance avec les héros du Cercle.
L’issue de la bataille ne se dessinait pas. Ni pour un camps, ni pour l’autre.
Trop confiant, les Matis s’en étaient allés en terre conquise… Ils se retrouvèrent à batailler pour chaque parcelle de 10 centimètres qu’ils revendiquaient dans leur tentative d’invasion.
La mitrailleuse, postée en haut d’une colline laissée sans surveillance par les Questeurs, faucha les soigneurs Kamistes. Quand ils s’aperçurent du guet-apens, quelques guerriers accoururent pour y déloger le tireur solitaire.
« Trop tard... le mal est fait…Il est temps de déguerpir… »
Le mitrailleur s’enfuit par delà l’autre versant. L’Ennemi n’irait jusque là pour lui seul.
Etiolé, disséminé, étiré, le front des Questeurs s’amenuisa de ses combattants valides. Chacun rendant l’âme à son tour, mais aucune résignation ne fit faiblir leurs ultimes coups. Quelques soigneurs rescapés, courageux, loyaux envers les leurs tentèrent de prodiguer leurs soins en usant de leur plus puissant sort. Ils agonisaient en donnant leur essence de vie et en endossant la souffrance de leurs frères et sœurs d’armes, leurs amis, époux et épouses tombés sur le champs de bataille…
Il furent tués à leur tour.
Les Questeurs... Il s’agissait là d’une famille unie, dont les membres gisaient dans des attitudes protectrices, montrant que l'un était allé au-devant du coup fatal porté à un autre. Ces gestes pour aller au-devant de la mort afin d'épargner la vie d'un des leurs n'échappèrent pas aux combattants du Cercle.
Après plusieurs jours de bataille, enfin, le Cercle des Profondeurs avait vaincu, mais nulle bravade, nul rituel avilissant ne fut fait à l’encontre de l’Ennemi.
Les Matis avaient combattu un ennemi qui les avait forcé au respect et leur soif de compétition pour des défis épiques avaient trouvé dans ceux que l’on nommait les Questeurs, une aune pour l'accomplissement de soi.
Le silence qui s’ensuivit des troupes du Cercle, habituellement braillardes au moment de la victoire, plût à l’ensemble de ses membres.
L’hommage était tacitement rendu.
La bannière des Questeurs qui flottait jadis sur la forteresse de Zo-Kian ne fut pas brûlée, mais conservée par le chef du Cercle des Profondeurs.
... Un tribut qu’elle conserverait jusqu’à la fin de ses jours...
... ZO-KIAN, une bataille que le temps engloutira comme toutes les autres, avec ses faits d’armes et ses héros alors oubliés… Atys, planète de notre exil, nous serons bientôt tes vestiges errodés par tes vents séculaires... »
Shenshantag ferma le recueil ouvert sur « L’histoire du Cercle des Profondeurs ». Un sentiment de respect encore présent à son esprit pour des ennemis qui avaient su l’aider à sortir le meilleur de lui-même…
Enfin… Il devait en être ainsi.
Le recueil parvint le soir-même à Lilithe, avec un mot griffonné à l’intérieur de la page de garde.
« Je sais qu’il t’en a coûté de combattre Tsurani. Quand je me suis déchiré avec ma sœur, Kaithlin, le monde a perdu quelques unes de ses couleurs. Un ange me fut alors envoyé en la personne d’Eleanide. Quant à toi Lilithe, les Cercleux sont tes frères et sœurs et nous sommes fiers de te voir à la tête de notre famille. »
A bientôt.
Shenshantag.
/hrp
