Tout simplement parce que ces satanés fossiles se trouvent planqués au fin fond de la Poussée, et que pour y accéder, il me faut une armée, et que malheureusement pour moi, je n'ai pas cette armée à ma disposition. Je suis un Foreur, et j'ai juste suffisamment entraîné mon bras à porter l'épée pour pouvoir me débrouiller en cas d'attaque surprise sur le chemin de mes principaux lieux de forage. Mais un simple Gingo fulminant me met à terre. Alors pensez, une zone remplie de Javings, de gingos et même de Kirostas qui, en chassant le raspal, me tombent dessus à la moindre tentative d'avancée de ma part ! J'ai donc abandonné, et cette mission «*urgente*» de la Karavan attendra des jours meilleurs. Mais cela me fait tout de même réfléchir.
Car mettons-nous à la place de ce brave PNJ. Je dois déjà être un des rares cinglés à vouloir les faire ses foutues missions « très urgentes*», et pour ça, je suis prêt à faire un, deux, même trois essais, chacun menant presque inéluctablement à la mort. Que se passe-t-il si j'échoue ? Rien. Si la Karavan n'a pas ses fossiles ? Rien. Alors, pourquoi aller les chercher ? J'aurais pu gagner en renommée autrement, et c'est bien ce que je vais faire à partir de maintenant. Logique ? Non. Les missions de forage sont censées être aussi utiles que les autres. Tiens, parlons-en des autres... Pourquoi veut-il que je les tue, ces Kizoars ? Pour le plaisir ? Non. Pour « combattre la menace Kitin*». Même si le Kizoar que j'aurai tué repope dans les 10 secondes suivant son décès. De la même manière, on peut me demander de «*nettoyer la terre*», la terre continuera d'être aussi souillée, et j'ai quelques doutes sur la santé mentale des farfelus chasseurs qui me demandent de façon incessante d'aller «*prélever*» - comme on dit dans le jargon - quelques herbivores, pour éviter la surpopulation.
Le pire, me disais-je alors que je galopais, épée longue en main (pourvu qu'il n'y ait pas de racine...), c'est que tous ces carnivores agressifs, toutes ces bestioles sorties des tréfonds d'Atys, se trouvent sur la route, c'est-à-dire a priori sur un endroit qui, dans n'importe quelle société même primitive, devrait faire l'objet d'une protection. Patrouilles, haltes protégées... Bon, d'accord, passons sur les haltes, on ne va pas revenir sur les fameux avant-postes. Mais les patrouilles ? Ah, il y en a, j'en vois passer souvent : des groupes de PNJ, totalement indifférents au monde qui les entoure, et dont le seul but dans la vie semble être de se faire massacrer, de temps en temps, par un groupe de PJ hostiles à leur peuple ou à leur faction. Mais moi dans tout ça ? Ah, oui, j'y pense : pourquoi n'organiserions-nous pas de patrouilles, nous aussi ? Après tout, nous sommes un peuple de réfugiés, notre territoire, nous devons le reconquérir peu à peu, et d'ailleurs, ces bornes, là, sur la route, il a bien fallu que des homins les posent... Eh bien non, même pas. Car je sais bien que le «*gamer*» ryzomien est d'une espèce particulière un tantinet masochiste, mais de là à lui demander de patrouiller gentiment le long de voies praticables à bousiller tout ce qui gêne pour que, l'instant suivant, les bestioles proprement envoyées au paradis des mobs repopent comme si de rien n'était, il y a comme un abîme dans lequel je me vois mal lui demander de plonger à pieds joints.
Alors oui, il y a bien deux Atys, celui des joueurs et celui des PNJ. Celui dans lequel nous vivons, nous, les joueurs, qui est un monde purement technique (pex pex pex ding gg, après tout pourquoi pas...), et celui des PNJ, qui restent persuadés que le gentil roi Yrkanis se balade quelque-part dans les couloirs de son Palais, qu'il est urgent de porter tel tonneau à l'autre bout du monde connu, que la surpopulation des yubos dans le Jardin Majestueux est une cause nationale qui mérite de mobiliser le ban et l'arrière-ban des chasseurs du royaume, et qui vous regardent d'un air supérieur en vous annonçant «*mon brave homin, je vais t'apprendre un secret révélé à très peu d'Initiés.... Les bijoux, vois-tu, sont constitués de montures, et de joyaux.*»...
Oui, il y a bien deux Atys, et dans la seule facette de ce monde parfait qui ne le soit pas, celle des joueurs, on pourrait lancer un nombre incroyable d'initiatives pour lutter contre l'ennui qui rôde ou la faim de RP qui s'installe. Ces patrouilles, par exemple, sur les principales routes du (ou des) royaume(s). Pourquoi sont-elles impossibles ? Oui, à cause de cette incohérence entre les deux mondes, à cause du fait tout bête, simplissime à comprendre, qu'il n'y a que Don Quichotte qui aime se battre contre des moulins à vent. Messieurs les développeurs, par pitié, faites en sorte que le gingo fulminant que je suis parvenu à occire, tout fier, ne rapparaisse pas l'instant d'après, et je vous assure qu'il y a dans ce jeu un certain nombre de guerriers qui trouveraient dans la protection plus ou moins permanente des voies de circulation une raison d'exister... et de jouer.
Faites en sorte que le gouffre qui sépare les deux Atys se comble, car nous, les joueurs, malgré notre bonne volonté, ne le pouvons pas. Et cette énergie que nous mettons à tenter de trouver des occupations à nos camarades de jeu et à nous mêmes, se trouve annihilée par la vanité de nos entreprises, que chaque «*mission*urgente*» ou «*invasion*» nous révèle : à quoi bon s'acharner, quand l'univers tout entier est contre vous ?
Vous voyez, par exemple, je viens de passer deux jours à compiler des informations, à réfléchir à des organisations, à des façons simples (car seul ce qui est simple peut fonctionner dans un jeu) de m'amuser au-delà de la simple amélioration des caractéristiques de mon personnage. Au-delà même de ce que j'ai pu proposer sur ce forum, j'ai bien senti que les joueurs attendaient «*autre chose*». Eh bien pourtant, ces deux jours, j'ai l'impression de les avoir passés à manipuler du vide, à faire des plans sur la comète, à construire des châteaux en Espagne... Tant que votre univers, soi-disant «*vivant et dynamique*» aboutira à ce que les joueurs se repèrent plus facilement en disant qu'ils sont «*morts aux kipees vigilants*» plutôt qu'en faisant référence à un point du décor ou à un avant-poste identifié, vous aurez quelque-part échoué dans vos ambitions. Et vous ne tirerez de cette très riche communauté de joueurs que le minimum de ce qu'elle peut vraiment donner.
D'ici-là, je range mes rêves au placard des illusions et mes idées dans un tiroir sans clef. On ne sait jamais, je suis souvent distrait, et si par hasard un miracle survenait, je pourrais avoir à les ressortir.....
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