Prélude à la mort d'un roi...

[shantag]

Le ciel égrenait sa chapelure de flocons de neige sur la voûte sylvestre qui composait le couvre-chef de la capitale Matis. Yrkanis semblait ainsi drapée d’un châle de soie blanche qui enorgueillissait d’un éclat immaculé la naturelle beauté de la grande cité. Cette soirée d’hiver étirait ses mornes heures froides, et le soleil, disque blafard et maladif, emmenait avec ses derniers rayons, l’avarice d’une chaleur dont il semblait regretté sa trop grande générosité de l’été passé. En harpagon amer, l’astre montrait à cette heure, bien moins que sa bosse par delà l’horizon de son coucher… Son croissant déclinant fut la seule maigre aumône de politesse qu’il accorda au levée de la lune dont le spectre macabre prenait en ce moment son envol tel un izam décharné aux sourds battements d’ailes.

Shaarm, la régente de la famille Hespérian, claqua lourdement la face baveuse d’un sceau d’ambre ciselé sur la demande de financement de parures commandées au près de Dame Mearthis. « Accordé » signifiait le vert émeraude de son cachet.
Les demandes de ce type s’amoncelaient et la pile les constituant commençaient à éprouver les lois de la gravité, même si le premier conseiller Alquieff passait recadrer l’édifice de papier dans la journée, Shenshantag de son côté déposait sans vergogne une flopée de missives émanant de chacun des hespérides… et le Maître Marchand lui faisait sentir qu’il n’avait plus de temps à accorder à la considération de la méticulosité !
Shaarm, appesantit sur ses coudes et penchée sur une nouvelle demande, s’empara en grondant d’un autre sceau dont l’estampille violacée indiqua un refus catégorique pour le paiement exorbitant d’ambres rares et de reliques soi-disant « essentielles aux travaux de recherche des artisans d’orfèvre ». Elle ne se rendit pas compte du fin sourire qu’elle arbora en jubilant presque de s’être « vengée » de ce surcroît de travail que lui donnait l’Ancien de la guilde. Il bougonnerait en prenant connaissance de la décision, mais Shaarm en avait l’habitude et s’il impressionnait les plus jeunes de la famille par ses humeurs « irritées », il oublierait vite et passerait à autre chose.

Le panneau de bois de sa porte fut « effleuré » de trois coups. Shaarm sut aussitôt qu’il s’agissait de Serae Millenia à sa façon caractéristique, emprunte de politesse, de quérir la régente au milieu de son travail. A l’invite polie de cette dernière, la diplomate de la famille Hespérian s’engagea d’un pas feutré dans le bureau, un éternel sourire aux bords des lèvres et le pétillement de celles dont les yeux sont le reflet d’une âme sage et éclairée.
Malheureusement, Shaarm vit encore plus de travail dans les mains de Millenia !
La régente retint un soupir ; la diplomate envoyée en pays Tryker à la rencontre de la guilde des Eaux Atysiennes avait beaucoup travaillé sur cette nouvelle relation et l’issu de son intervention avait été favorable à l’ouverture d’un accord commercial. La régente se plierait de bonne grâce à cette charge supplémentaire que lui amenait la Serae.
… Mais celle-ci, après avoir balayé du regard l’espace de travail de la régente, escamota ses feuillets dans une sacoche qu’elle portait en bandoulière. Sans mot dire, elle oeuvra à donner de la lumière en ce lieu, le clair-obscur émanant de dehors n’étant plus suffisant qu’aux yubos en leur terrier. Les mèches des bougies s’embrasèrent et les flammeroles commencèrent à se trémousser sur un rythme lent et hypnotique.
Shaarm arbora un sourire… Millenia le lui rendit.
Et la diplomate de dire :
« Je n’aime pas travailler avec une lumière insuffisante, le violet des tampons se confondant avec le vert des autres… Si vous me cédez la place… »
Shaarm dénia tout de suite l’intention de la diplomate de se substituer à elle.

- Serae, vous allez prendre un repos mérité. Votre voyage a été long et éprouvant, bien que je sache que vous m’ayez caché l’intégralité des déconvenues de son parcours.
- Shaarm… je vous remplace maintenant à votre tâche… et inutile de discuter !

La diplomate et la régente se souriaient. Millenia jeta un œil à l’épée dans son fourreau et à l’armure noire et violette de la chef des hespérides : dans l’ombre invaincue par le halo de lueur des bougies, les attributs guerriers attendaient telles deux entités ténébreuses et inquiétantes veillant le temps des heures sombres, venues et passées.
Ce fut la diplomate qui eut l’initiative suivante :

- Il est contre-nature que de voir l’homine guerrière, victorieuse des troupes kitins lors de la dernière guerre, chef de batailles des hespérides, assise à – Millenia prit le temps de choisir ses mots-, « faire des coloriages » et à « tirer la langue en s’appliquant pour pas que ça déborde » !

La Serae considéra un instant les mains de la régente avant de soutenir de nouveau son regard au charisme troublant. La diplomate s’enhardit par une effronterie peu commune et poursuivit, le cœur battant un peu plus vite :

- On dirait bien les mains d’une courtisane que je vois là…

Shaarm sondait comme à son habitude l’homine assise devant elle et qui avait « osé » la comparer à la frivolité des Dames de Cour.

- La témérité des Trykers a t’elle détint sur toi ?

Shaarm employait le tutoiement qu’en de rares moments avec sa diplomate… Cela signifiait à Millenia qu’elle avançait sur un terrain houleux.

- le respect de vous, Shaarm… C’est cela qui dicte mes mots. Vous m’attristez en vous voyant ainsi pencher sur des travaux quotidiens qui vous privent de vivre ce que vous êtes ; Une guerrière. Les hespérides semblent trépigner dans l’attente d’une action d’éclat… Certains ont le cœur lourd de n’avoir pu défaire le Bandit des Primes et ses acolytes lors de leur rencontre fatale avec l’arrivée impromptue d’un kincher en maraude… Eux si enjoués, si prompt aux bons mots d’humour et aux gestes d’attention, ont repris les armes et leur puissance nouvelle est comme les palpitations d’un cœur de feu ardent qui ne demande qu’à se déverser sur votre ordre, régente. Laissez-moi donc à ceci, -Millenia désigna la pile des demandes-, et rassemblez vos fidèles hespérides pour une chasse retentissante.

Shaarm orienta son regard sur son armure, qui dans la pénombre, avait toute l’allure d’une bête ramassée prête à bondir. Il semblait à la guerrière qu’un reflet huilé vint courir sur les liserés argentés des jointures de l’atour de guerre. Elle su que Millenia avait raison. L’appel au combat résonnait en elle. L’afflux des souvenirs de ses luttes passées la galvanisèrent et balayèrent ses dernières réticences à abandonner Millenia à ce travail insipide.
Elle esquissa un sourire à l’attention de sa diplomate, soupira et… sourit de plus belle !

Les homines se levèrent, leurs mouvements rivalisant de grâce et d’élégance dans leur robe matis aux fines soieries. Millenia gagna le siège qu’occupait précédemment la régente sans pour autant s’y asseoir. Shaarm sembla glisser jusqu’à l’alcôve où elle remisait ses pièces de guerre. Avant de retrouver l’intimité d’une chambre pour revêtir son armure, la régente, aimée des hespérides, eu un long regard pour celle qui était venue la « sauver » de sa monotonie.
Millenia s’emplit de la vision de bravoure qu’inspirait Shaarm lorsque celle-ci était investie d’un commandement divin et belliqueux. La foi de la régente en Jena était alors une aura perceptible, presque tangible pour celui ou celle qui la contemplait. Pour les hespérides, ils y voyaient là, un avatar de la déesse elle-même… Pour Elle, ils mourraient au combat refusant l’affront de la vision de son genou ployé…

Millenia baissa les yeux, exécuta une belle révérence. Shaarm s’en allait.
La diplomate, le cœur léger, s’attela à la tâche.

« Alors… »

Elle lut… :

« Demande d’étude du projet d’agrandissement du musée de la guilde »

« … »

Elle souleva un groupe de feuillets…
« Affectation de personnels attitrés aux affaires courantes des Hespérides Slayers, Odric et Dwilaseth… Exclusivement des homines et une à deux pour chacun de ces hespérides, trois ne serait pas du luxe… Le recrutement sera fait en présence des Sers Slayers, Odric et Dwilaseth… »

Le tampon violet s’écrasa brutalement sur la demande des trois célibataires de la guilde.

Bien qu’elle aurait voulu suivre la régente dans son expédition, Millenia, chacune de ses mains « armées » des sceaux « de pouvoir », se dit qu’elle allait finalement bien s’amuser…

(2ème partie à venir)