Les eaux amères
Posted: Thu Dec 16, 2004 12:33 pm
Quelques coups de pioche bien ajustés et un petit morceau dambre blond roula dans la poussière décorce et de corail qui jonchait le sol. Une jolie pièce. Le filon était aussi prometteur que les indices quelle avait lus sur lécorce le présageaient. Elle fit rouler la pierre dans le creux de sa paume, la faisant jouer dans les rayons de lune que les nuages lourds et orageux laissaient filer, tirant de chaudes flammes vives de la matière si vivante. De lambre hash. Parfait. Avec un peu dhabileté, elle tirerait suffisamment de ce filon pour vivre quelques jours de lavidité des artisans dAvendale. Le cours de lambre serait certainement inférieur aux prix du marché de lest à Fairhaven, mais elle sen contenterait. Elle empocha vivement la pierre avec un haussement dépaules, faisant mourir léclat de feu engendré par les rayons de lune. Elle reprit sa pioche et labattit avec violence sur une racine. Le brasier de la pierre paraissait avoir gagné son esprit, grondant, soufflant attisé par les souvenirs.
Depuis plusieurs lunes, elle évitait la capitale. Elle navait jamais vraiment cru que le traité signé par Wyler ferait changer les esprits -comme si cela était possible maintenant. Aussi inconscients et aussi stupides que le yubo, Ama avait bien raison mais elle naurait jamais cru devoir croiser autant de Fyros sur les Lacs. Le Conseil navait plus vraiment prise sur les événements. Les jeunes tribus criaient haut et fort sur les pontons leur attachement aux homins du désert. Sil voulait assurer son poste, Wyler devrait tôt au tard prendre position.
Elle avait essayé de leur parler, de leur ouvrir les yeux, elle avait crié aux vents tournoyants autour de Windermeer, elle avait supplié à Crystabell, en vain. Même si beaucoup séloignaient de la Karavan, tous ne croyaient quen une chose désormais : « les Fyros sont nos alliés »
(...)
- sont nos alliés, mets-toi bien cela dans la tête, sale Yelk, cracha lhomin en sattablant de nouveau devant sa chope dalcool de stinga. Ils nous ont toujours soutenus contre ces sales Matis.
Le crachat cette fois la manqua de peu. Elle recula, essuyant le sang qui coulait de son nez et de sa lèvre.
Personne navait bougé dans le bar. Laltercation avait attiré quelques personnes qui passaient sur la promenade mais nul nétait intervenu, sinon pour lui dire de laisser tomber et de filer avant que quelquun ne prenne en mal ses contes de vieille homine sur le feu Coriolis et le Grand Essaim. Et lorsque le type lavait interrompue dun revers de son poing, ils avaient passé leur chemin.
- Dailleurs jme suis engagé dans les légions étrangères fyros. Jfrai partie du prochain convoi pour Pyr. Tas dla chance que jfête ça, sinon jtaurais écrasée. Fous lcamp maintenant.
- Fais ce quil te dit, cela vaudra mieux, ajouta un garde, et apprends à tenir ta langue à lavenir quand tu viendras en ville vendre tes matériaux, ils valent bien plus que toi, lui lança-t-il.
(...)
-... sont nos alliés. Grâce à leur aide, cette guerre de l'automne touche à sa fin. La sève d'Elie Din Covee est retournée à l'Ecorce. Son corps à la demande de sa famille est rendu aux eaux de nos lacs en ce jour.
L'Ancien à l'air compassé débitait son oraison funèbre d'un ton monocorde et rapide, pressé d'en finir.
Le corps de son père glissa sans bruit dans les eaux sombres du crépuscule qui roulaient sur ses joues. Les larmes ne lui diraient pas pourquoi son père n'était pas mort dans le lagon de Loria, mais plus au sud, quoi qu'on lui en ait dit. Elles ne lui diraient pas pourquoi il était mort dans une guerre qu'il avait combattue si ardemment. Elles n'empêcheraient pas les autres de la regarder avec défiance, les mots fille de traître cachés derrière chacune de leurs paroles. Rageusement elle essuya ses larmes et leur tourna le dos.
(...)
- sont nos alliés. Nous avons besoin deux contre nos ennemis.
Les voix des adultes grondaient au-dessus de sa tête. Père prit une grande inspiration. Sa main écrasait un peu celle de la petite qui regardait et écoutait attentivement. Il était si souvent en colère ces derniers temps, contre elle, contre Ama, contre lui-même et surtout contre le Conseil et les tribus.
- Quels ennemis ? Nous navons plus dennemis. Il ny a plus que la menace des kittins, que tes bons amis Fyros ont déchaînée sur nous. Navons nous rien appris durant lExode ?
- Les kittins ont été repoussés et les quelques essaims qui demeurent seront bientôt détruits. Nous pouvons maintenant reprendre ce qui nous appartient et retrouver notre place. Tu t'inquiètes sans raison. Non, arrête, je connais tes arguments. Le feu Coriolis, les kittins. Mais c'était il y a longtemps. Je sais que ton clan a beaucoup perdu. Mais nous avons toujours joué les Fyros contre les Matis. Nous n'avons pas d'autre choix.
- Si, le choix existe mais admets plutôt que nous ne voulons pas le faire.
- Peut-être, mon ami, peut-être...
- Ce sera la guerre dans le Lagon, encore. Pouvons-nous vraiment nous le permettre ?
- J'espère que non, vraiment, mais il n'y a pas d'autre solution. Les Fyros nous protègeront, ils sont nos alliés
(...)
-... sont nos alliés. Balivernes que tout cela petite, marmonna la vieille homine. Elle reprit une poignée de fibres shu et entreprit de les débarrasser de leurs impuretés avant de les apprêter pour le filage puis le tissage.
- Raconte le grand feu Ama et puis les kittins, raconte Ama.
La gamine sassit en tailleur aux pieds de la vieille homine, les coudes sur ses genoux et le visage dans ses mains, frémissante de limpatience toujours renouvelée que les histoires dAma savaient si bien faire naître.
- Très bien petite, mais pendant que ma langue s'agite, que tes mains ne restent pas oisives. Prends ce panier de graines et trie-les. Mets-moi de côté les sarina, l'armurier a une grosse commande en route. Le visage barré d'une grande brûlure de la vieille s'anima alors qu'elle commençait son récit. Les kittins et le grand feu... Tu veux savoir la vérité petite ? Les Fyros nous ont fait ce cadeau. Ils sont avides. Ils n'ont jamais respecté l'Ecorce. Alors ils ont creusé, toujours plus profond, toujours plus loin, à la recherche des meilleurs gisements, des plus riches matières. Se cachant des Kamis, dont nous étions les favoris, et qu'ils ne respectent pas autant qu'ils le clament. Alors un jour, ils réveillèrent le grand feu. Beaucoup périrent, mais cela brisa aussi la route de l'eau. Non, ces homins du désert ne respectent et n'aiment pas l'eau comme nous l'aimons. Ils nous la prennent, l'accaparent. De ce jour, la guerre vint contre les Matis et nous... Voyons fais un peu attention !, lança-t-elle en jetant un il sur la gamine dont les doigts distraits jouaient paresseusement avec les graines. Ca c'est des graines de silvio petite empotée ! Tu les laisses avec les caprices, je n'en ai pas l'usage pour l'instant. Qu'est-ce que je disais ? Les kittins, oui, les kittins aussi sont un fléau que nous ont apporté les Fyros. Et cela je le sais car j'y étais. C'est une grande kipucka qui m'a laissé cette brûlure au visage comme nous nous enfuyions... Le clan à tout perdu en ces saisons si terrible... Tout. Le comptoir, les routes des caravanes. Il ne nous reste que le savoir, l'amour de l'Ecorce et de l'eau. Ce savoir qui fera de toi une prospectrice à la hauteur de ton clan si tu voulais bien t'appliquer un peu. Dis tu m'écoutes petite ? , demanda-t-elle tandis que le regard de lenfant sétait perdu loin, très loin, dans les images quAma avait invoquées. Viens là que je t'apprenne les fibres des Lacs...
(...)
Les premières lueurs du jour perçaient les frondaisons dans le Lagon, chassant les souvenirs.
Avendale avait été pire que Fairhaven. Elle y avait aperçu un Zoraï, si étrange, se balançant dans le vent et l'avait évité en faisant un large détour, légèrement apeurée devant son masque impénétrable. Mais au comptoir Eoppie deux Fyros attendaient d'être servis, aimablement accompagnés par plusieurs jeunes Trykers. Elle avait fait demi-tour et s'était enfuie, enfin résolue. Son peuple refusait de voir la vérité et allait en périr. Les Fyros sont nos alliés et nos pires ennemis. Et les pires ennemis des Fyros sont les Matis. Si son peuple niait l'évidence, elle renierait son peuple. Depuis plusieurs cycles, des rumeurs parvenaient à Avendale. Les Matis se dressaient encore fiers et parmi eux, un nom revenait souvent. Elle renierait son peuple si celui-ci persistait à renier ce quil était, pour son propre bien.
La traversée avait été éprouvante. kipesta et kirosta menaient des rondes incessantes mais après plusieurs jours d'efforts elle avait enfin atteint le vortex. Elle se retourna et embrassa le pays des Lacs du regard. De longues minutes elle resta debout dans le vent léger chargé dodeurs aquatiques, droite, les poings serrés. Ses yeux sattardèrent longuement sur le Lac supérieur, se chargeant peu à peu de ses eaux comme pour mieux les emporter avec elle.
- Je suis Paera Ama Din Covee et tant que je vivrai, les Lacs n'appartiendront jamais au désert. Le grand Feu ne viendra pas les assécher et les kittins ne s'y désaltèreront pas. Je suis Paera Ama Din Covee... et... je... je
Elle se détourna brusquement, reprit le baluchon qui contenait toutes ses possessions, une pioche, une épée rouillée mais surtout tout au fond, quelques peaux d'Yber tannées enluminées par la mémoire de la vieille Ama, et avança.
De l'autre côté, l'automne glissait lentement sur les bolobis, les parant de rouge et d'or. Le but était proche...
------------------------------
L'or et le rouge avaient laissé place au blanc ouaté de la neige.
La neige l'avait surprise. L'hiver dans les Lacs était doux et plus habitué à la pluie qu'au froid. Et puis cette chose si évanescente était tombée du ciel un soir, légère et irréelle, disparue aussitôt qu'elle touchait le sol et pourtant revenant et tombant sans cesse, avec une obstination lente qui peu à peu triompha du vent, des timides rayons de soleil et de l'eau, jusqu'à couvrir le sol marécageux d'un fin tapis glacial.
Et vint alors le silence. Un silence épais, feutré que seuls déchiraient les hurlements mortellement assourdis des torbaks. Un silence trompeur. Il l'enveloppait, tentateur, la berçant de promesses de sécurité et de douceur. Il était si facile de se laisser convaincre, de se laisser glisser doucement. Oublier le froid et son étreinte de glace sur son visage. Oublier la faim, cette vieille compagne si exigeante. S'abandonner enfin à la fatigue et la laisser l'emmener loin de ses cauchemars peuplés de cuttlers et de gibbaïs.
Recroquevillée dans un renfoncement du talus, les yeux mi-clos, elle sombrait dans le sommeil lorsqu'un paquet de neige glissa de la fougère qui l'abritait du vent sur son visage. Le froid et l'humidité soudains la firent frémir, la ramenant insensiblement au présent. Ses yeux fixaient sans vraiment les voir les flocons dispersés sur sa manche déchirée et maculée de boue et de sang. De si petites choses... Si petites... Et pourtant, elle les avait vu triompher de l'eau et s'imposer à elle. Avec patience et obstination, jusqu'à couvrir l'Ecorce.
La petite forme s'agita faiblement, repoussant les fougères et la neige. Elle se relevait péniblement, engourdie par le froid, affaiblie par les privations, la fatigue et les blessures quand le ricanement moqueur d'un cuttler retentit dans le silence. Les poings serrés elle se tourna vers le boyau où l'animal se cachait. Elle ne les laisserait pas triompher ainsi, pas encore.
Le but était proche, elle l'atteindrait.
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[hrp]Le début de l'histoire de ma Trykette, tel que raconté il y a maintenant de nombreux cycles entre des murs qui depuis sont tombés entre des mains traîtresses.
[/hrp]
Depuis plusieurs lunes, elle évitait la capitale. Elle navait jamais vraiment cru que le traité signé par Wyler ferait changer les esprits -comme si cela était possible maintenant. Aussi inconscients et aussi stupides que le yubo, Ama avait bien raison mais elle naurait jamais cru devoir croiser autant de Fyros sur les Lacs. Le Conseil navait plus vraiment prise sur les événements. Les jeunes tribus criaient haut et fort sur les pontons leur attachement aux homins du désert. Sil voulait assurer son poste, Wyler devrait tôt au tard prendre position.
Elle avait essayé de leur parler, de leur ouvrir les yeux, elle avait crié aux vents tournoyants autour de Windermeer, elle avait supplié à Crystabell, en vain. Même si beaucoup séloignaient de la Karavan, tous ne croyaient quen une chose désormais : « les Fyros sont nos alliés »
(...)
- sont nos alliés, mets-toi bien cela dans la tête, sale Yelk, cracha lhomin en sattablant de nouveau devant sa chope dalcool de stinga. Ils nous ont toujours soutenus contre ces sales Matis.
Le crachat cette fois la manqua de peu. Elle recula, essuyant le sang qui coulait de son nez et de sa lèvre.
Personne navait bougé dans le bar. Laltercation avait attiré quelques personnes qui passaient sur la promenade mais nul nétait intervenu, sinon pour lui dire de laisser tomber et de filer avant que quelquun ne prenne en mal ses contes de vieille homine sur le feu Coriolis et le Grand Essaim. Et lorsque le type lavait interrompue dun revers de son poing, ils avaient passé leur chemin.
- Dailleurs jme suis engagé dans les légions étrangères fyros. Jfrai partie du prochain convoi pour Pyr. Tas dla chance que jfête ça, sinon jtaurais écrasée. Fous lcamp maintenant.
- Fais ce quil te dit, cela vaudra mieux, ajouta un garde, et apprends à tenir ta langue à lavenir quand tu viendras en ville vendre tes matériaux, ils valent bien plus que toi, lui lança-t-il.
(...)
-... sont nos alliés. Grâce à leur aide, cette guerre de l'automne touche à sa fin. La sève d'Elie Din Covee est retournée à l'Ecorce. Son corps à la demande de sa famille est rendu aux eaux de nos lacs en ce jour.
L'Ancien à l'air compassé débitait son oraison funèbre d'un ton monocorde et rapide, pressé d'en finir.
Le corps de son père glissa sans bruit dans les eaux sombres du crépuscule qui roulaient sur ses joues. Les larmes ne lui diraient pas pourquoi son père n'était pas mort dans le lagon de Loria, mais plus au sud, quoi qu'on lui en ait dit. Elles ne lui diraient pas pourquoi il était mort dans une guerre qu'il avait combattue si ardemment. Elles n'empêcheraient pas les autres de la regarder avec défiance, les mots fille de traître cachés derrière chacune de leurs paroles. Rageusement elle essuya ses larmes et leur tourna le dos.
(...)
- sont nos alliés. Nous avons besoin deux contre nos ennemis.
Les voix des adultes grondaient au-dessus de sa tête. Père prit une grande inspiration. Sa main écrasait un peu celle de la petite qui regardait et écoutait attentivement. Il était si souvent en colère ces derniers temps, contre elle, contre Ama, contre lui-même et surtout contre le Conseil et les tribus.
- Quels ennemis ? Nous navons plus dennemis. Il ny a plus que la menace des kittins, que tes bons amis Fyros ont déchaînée sur nous. Navons nous rien appris durant lExode ?
- Les kittins ont été repoussés et les quelques essaims qui demeurent seront bientôt détruits. Nous pouvons maintenant reprendre ce qui nous appartient et retrouver notre place. Tu t'inquiètes sans raison. Non, arrête, je connais tes arguments. Le feu Coriolis, les kittins. Mais c'était il y a longtemps. Je sais que ton clan a beaucoup perdu. Mais nous avons toujours joué les Fyros contre les Matis. Nous n'avons pas d'autre choix.
- Si, le choix existe mais admets plutôt que nous ne voulons pas le faire.
- Peut-être, mon ami, peut-être...
- Ce sera la guerre dans le Lagon, encore. Pouvons-nous vraiment nous le permettre ?
- J'espère que non, vraiment, mais il n'y a pas d'autre solution. Les Fyros nous protègeront, ils sont nos alliés
(...)
-... sont nos alliés. Balivernes que tout cela petite, marmonna la vieille homine. Elle reprit une poignée de fibres shu et entreprit de les débarrasser de leurs impuretés avant de les apprêter pour le filage puis le tissage.
- Raconte le grand feu Ama et puis les kittins, raconte Ama.
La gamine sassit en tailleur aux pieds de la vieille homine, les coudes sur ses genoux et le visage dans ses mains, frémissante de limpatience toujours renouvelée que les histoires dAma savaient si bien faire naître.
- Très bien petite, mais pendant que ma langue s'agite, que tes mains ne restent pas oisives. Prends ce panier de graines et trie-les. Mets-moi de côté les sarina, l'armurier a une grosse commande en route. Le visage barré d'une grande brûlure de la vieille s'anima alors qu'elle commençait son récit. Les kittins et le grand feu... Tu veux savoir la vérité petite ? Les Fyros nous ont fait ce cadeau. Ils sont avides. Ils n'ont jamais respecté l'Ecorce. Alors ils ont creusé, toujours plus profond, toujours plus loin, à la recherche des meilleurs gisements, des plus riches matières. Se cachant des Kamis, dont nous étions les favoris, et qu'ils ne respectent pas autant qu'ils le clament. Alors un jour, ils réveillèrent le grand feu. Beaucoup périrent, mais cela brisa aussi la route de l'eau. Non, ces homins du désert ne respectent et n'aiment pas l'eau comme nous l'aimons. Ils nous la prennent, l'accaparent. De ce jour, la guerre vint contre les Matis et nous... Voyons fais un peu attention !, lança-t-elle en jetant un il sur la gamine dont les doigts distraits jouaient paresseusement avec les graines. Ca c'est des graines de silvio petite empotée ! Tu les laisses avec les caprices, je n'en ai pas l'usage pour l'instant. Qu'est-ce que je disais ? Les kittins, oui, les kittins aussi sont un fléau que nous ont apporté les Fyros. Et cela je le sais car j'y étais. C'est une grande kipucka qui m'a laissé cette brûlure au visage comme nous nous enfuyions... Le clan à tout perdu en ces saisons si terrible... Tout. Le comptoir, les routes des caravanes. Il ne nous reste que le savoir, l'amour de l'Ecorce et de l'eau. Ce savoir qui fera de toi une prospectrice à la hauteur de ton clan si tu voulais bien t'appliquer un peu. Dis tu m'écoutes petite ? , demanda-t-elle tandis que le regard de lenfant sétait perdu loin, très loin, dans les images quAma avait invoquées. Viens là que je t'apprenne les fibres des Lacs...
(...)
Les premières lueurs du jour perçaient les frondaisons dans le Lagon, chassant les souvenirs.
Avendale avait été pire que Fairhaven. Elle y avait aperçu un Zoraï, si étrange, se balançant dans le vent et l'avait évité en faisant un large détour, légèrement apeurée devant son masque impénétrable. Mais au comptoir Eoppie deux Fyros attendaient d'être servis, aimablement accompagnés par plusieurs jeunes Trykers. Elle avait fait demi-tour et s'était enfuie, enfin résolue. Son peuple refusait de voir la vérité et allait en périr. Les Fyros sont nos alliés et nos pires ennemis. Et les pires ennemis des Fyros sont les Matis. Si son peuple niait l'évidence, elle renierait son peuple. Depuis plusieurs cycles, des rumeurs parvenaient à Avendale. Les Matis se dressaient encore fiers et parmi eux, un nom revenait souvent. Elle renierait son peuple si celui-ci persistait à renier ce quil était, pour son propre bien.
La traversée avait été éprouvante. kipesta et kirosta menaient des rondes incessantes mais après plusieurs jours d'efforts elle avait enfin atteint le vortex. Elle se retourna et embrassa le pays des Lacs du regard. De longues minutes elle resta debout dans le vent léger chargé dodeurs aquatiques, droite, les poings serrés. Ses yeux sattardèrent longuement sur le Lac supérieur, se chargeant peu à peu de ses eaux comme pour mieux les emporter avec elle.
- Je suis Paera Ama Din Covee et tant que je vivrai, les Lacs n'appartiendront jamais au désert. Le grand Feu ne viendra pas les assécher et les kittins ne s'y désaltèreront pas. Je suis Paera Ama Din Covee... et... je... je
Elle se détourna brusquement, reprit le baluchon qui contenait toutes ses possessions, une pioche, une épée rouillée mais surtout tout au fond, quelques peaux d'Yber tannées enluminées par la mémoire de la vieille Ama, et avança.
De l'autre côté, l'automne glissait lentement sur les bolobis, les parant de rouge et d'or. Le but était proche...
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L'or et le rouge avaient laissé place au blanc ouaté de la neige.
La neige l'avait surprise. L'hiver dans les Lacs était doux et plus habitué à la pluie qu'au froid. Et puis cette chose si évanescente était tombée du ciel un soir, légère et irréelle, disparue aussitôt qu'elle touchait le sol et pourtant revenant et tombant sans cesse, avec une obstination lente qui peu à peu triompha du vent, des timides rayons de soleil et de l'eau, jusqu'à couvrir le sol marécageux d'un fin tapis glacial.
Et vint alors le silence. Un silence épais, feutré que seuls déchiraient les hurlements mortellement assourdis des torbaks. Un silence trompeur. Il l'enveloppait, tentateur, la berçant de promesses de sécurité et de douceur. Il était si facile de se laisser convaincre, de se laisser glisser doucement. Oublier le froid et son étreinte de glace sur son visage. Oublier la faim, cette vieille compagne si exigeante. S'abandonner enfin à la fatigue et la laisser l'emmener loin de ses cauchemars peuplés de cuttlers et de gibbaïs.
Recroquevillée dans un renfoncement du talus, les yeux mi-clos, elle sombrait dans le sommeil lorsqu'un paquet de neige glissa de la fougère qui l'abritait du vent sur son visage. Le froid et l'humidité soudains la firent frémir, la ramenant insensiblement au présent. Ses yeux fixaient sans vraiment les voir les flocons dispersés sur sa manche déchirée et maculée de boue et de sang. De si petites choses... Si petites... Et pourtant, elle les avait vu triompher de l'eau et s'imposer à elle. Avec patience et obstination, jusqu'à couvrir l'Ecorce.
La petite forme s'agita faiblement, repoussant les fougères et la neige. Elle se relevait péniblement, engourdie par le froid, affaiblie par les privations, la fatigue et les blessures quand le ricanement moqueur d'un cuttler retentit dans le silence. Les poings serrés elle se tourna vers le boyau où l'animal se cachait. Elle ne les laisserait pas triompher ainsi, pas encore.
Le but était proche, elle l'atteindrait.
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[hrp]Le début de l'histoire de ma Trykette, tel que raconté il y a maintenant de nombreux cycles entre des murs qui depuis sont tombés entre des mains traîtresses.
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