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Contes de petite vieille.

Posted: Fri Sep 05, 2008 12:55 pm
by psychee
Les générations avaient passés. Les cités, les colonies, les camps les plus incertains comme les plus hautes murailles s’étaient construites et étaient retombés dans la sciure, dévorés par l’écorce et la trame du temps.
Génération après générations, les homins avaient refait ce qu’Atys détruisait, par les bouches et les serres de son appétit vorace et de sa rage à survivre : les kittins.
Génération après générations Kamis et Karavan avaient du prouver et démontrer leur bienveillance en protégeant ces être si faibles et si désarmés de ce que ce monde pouvait faire pour les dévorer.

Et bien des fois, tout semblait avoir été balayé. Des quatre continents et de leurs peuples, il y avait eu des légions, cracheurs de fer et de feu, de grandes cavalerie, la sève ardente détournée pour nourrir les plus flamboyantes magies, et il y avait eu des murs, des fossés et des armes de siège pour les retenir, les arrêter, les repousser.

Mais quand d’un trou de leurs nids ils ne sont plus, c’est pour être là-bas, ailleurs, un autre trou, un autre nid, et ils n’ont cesse de déclarer l’écorce leur, et d’en détruire ces choses roses ou bleues à deux pattes, si fragiles, et qui osent leur disputer l’hégémonie de l’écorce elle-même.

Atys a une âme… il suffit, disent les anciens, et ces vieilles homines aux allures de sorcières que l’on trouve près de l’âtre des chaumières branlantes commune à ces quatre peuples qui résistent et partagent un destin commun en essayant parfois de nier qu’il vient de la même source, et suit le même fleuve, pour se perdre dans les mêmes eaux du temps, de tendre l’oreille et d’écouter, et tout un chacun peut entendre Atys vivre et murmurer, respirer et bruire. Le silence n’existe jamais, comme si Atys ne cessait de croître et de pousser ses racines dans le ciel et son écorce sous vos pieds.

Mais Atys a des crocs, des gueules avides et des serres affamées. Et elle dévore même ses enfants. Les homins n’échappent pas à cette règle.

Chaque génération a laissé derrière les champs de bataille, les tombes glorieuses et les charniers immondes, des anciens et des petites vieilles.

L’une d’entre elle a toujours été là… en fait, de mémoire d’homin seulement. Les livres d’Histoire ne parlent pas des anciens et des petites vieilles, ils parlent des exploits des héros et des batailles passés. Elle aurait bien pu avoir 50 printemps, comme 200, quelle importance ?... Personne n’irait le lui demander, elle avait toujours été « la vieille » et dans sa chaumière isolée et perdu dans les forêts, et parfois un explorateur ou un chasseur blessé avait la joie de trouver cette maison isolée, et cette vieille homine, qui aurait pu dire si elle fut matis, ou fyros, qui semblait savoir soigner, et guérir, des maux, avec de l’eau, des plantes, de vieilles recettes oubliées, visiblement bien peu soucieuse de partager ses secrets, de transmettre son savoir…

Elle était vieille, peut-être sage… et elle aimait raconter…

Son seul trésor au final, bien plus que le peu qu’elle possédait pour finir sa vie, c’était ses histoires et ses contes…

Le zoraï avait beaucoup marché, avec une plaie qui s’était infectée. Vilaine morsure d’un gingo isolé, qui ne chasserait plus rien désormais. Mais sa cheville avait pris une couleur grise et sale. Sans cette masure, et cette petite vieille, il n’aurait pas eu de chance de retour. Elle avait soigné sa jambe sans manières, rude et peu amène, s’était peu soucié de ses grimaces quand elle avait nettoyé les chairs.

Mais au second soir, tandis que le soleil tombait sur les frondaisons, elle avait allumé une vieille pipe, et ses joues frippés comme du vieux parchemin avaient soufflés des volutes, comme on déguste un plaisir simple.

Et elle s’était mise à marmonner, puis à raconter. Le chasseur comprit le sens du cadeau. Il écouterait, emporterait avec lui ce conte, et puis, avant de partir, quand la blessure irait mieux, il irait chasser un peu pour refaire les vivres de la vieille, plus riche de quelques contes, qui seraient autant de cadeaux pour ses amis, et ses enfants…

« J’ai eu de n’importe quoi, ici… La forêt recrache ceux qu’elle n’arrive pas à avaler, ou qui sont trop fort pour que la nature les bouffe. Après tout, tu es de la même sciure que le reste ici, si tu meurs, tu es mangé par des animaux qui vivront de ta chair, et qui iront se faire bouffer à leur tour. Tout finit dans Atys même. Elle dévore tout. C’est elle que vous devriez craindre et vénérer, vous, les Zoraï, et pas Ma-Duk. Jamais vu l’un de vous foutu de me dire pourquoi l’entité que vous vénérez est un homme. Ce qui prend la vie et la donne est une femme. Enfin… c’est vos coutumes, et même vos Kamis ne redisent rien à cela. Vous devriez plus souvent vous demander pourquoi Ma-Duk est un homme… enfin, pourquoi vous le voyez ainsi.
Mais… enfin, ça n’a rien à voir avec mon histoire, pas vrai ? »


Le chasseur écouta sans rien dire, laissant voguer dans ses pensées une prière pour le blasphème bien pardonnable de cette vieille homine. Il n’était pas assez philosophe pour la suivre sur ces terrains. Et puis, cela aurait gâché le conte.
Il eu raison, car elle poursuivit, sans attendre qu’il ai acquiescé.

« C’est comme ça que j’ai croisé sur les fleuves du temps le destin de quelques uns d’entre vous. Pas les princes ou les grands généraux. Eux ne s’abaissent pas à se souvenir que la fin de la vie c’est d’être mangé par le monde qui vous a vu naitre, ils préfèrent les mausolées, les tombeaux. J’ai juste croisé des homins perdus, des héros et des fuyards. Peut-être quelques assassins. Même des monstres ; qui sait.

L’un d’eux s’appelait Leto. Il a vécu trop de temps, trop couru pour essayer de rattraper son destin. Mais l’eau coule, elle, plus vite que tu nageras jamais dedans. Il souffrait, et allait mourir. Il avait des choses à faire, et resta juste trois jours. Comme toi. Avant de partir, il me raconta quelque chose, et c’était sa vie. J’en savais pas mal sur lui. Mais même s’il s’en doutait, il a eu ce besoin de me confesser son existence, comme pour se décharger un peu du fardeau de ses crimes… Comme si cela lui aurait peut-être donné une nuit, une seule nuit, d’un vrai sommeil… »


Le chasseur connaissait Leto. Des années auparavant, il avait été l’un des maitres et fondateurs des Cercles Zoraï, élève du prêtre et oracle surnommé Pieds Bleus, Lao Tel'Ank.
Et il avait trahi. Fomenté avec les pires maisons de la Karavan et des Matis, frappé et blessé des zoraïs, renié sa foi, et avait entrainé dans sa chute la chute de la Zoraï Blanche, la matis qui avait été initié elle aussi par Lao Tel'Ank, et adopté par la maison des Gardiens de la Sève.
Et plus impressionnant encore, il avait presque réussi à prouver devant les plus hauts dignitaires parlant au nom de Ma-Duk que tout cela, il l’avait fait au nom des Kamis, et que son œuvre n’avait été qu’un immense plan pour sapper tout ce que les Matis tentaient à l’époque de fonder, et assurer le règne grandiose de Ma-duk, sans partage, sur l’écorce.

« Oui. Il était un fourbe et un traitre. Oui, il était aussi un génie de science et de connaissance. Et oui, Zoraï tu as raison, il a toujours prétendu, devant les sages eux-mêmes qu’il n’a jamais œuvré que pour la grandeur de votre dieu. Et il y croyait. Un homme à la foi si solide et si inébranlable est la preuve que rien n’arrête celui qui croit, même pas le risque de plonger dans les pires tourments de l’avilissement et de la duperie, sûr de son droit, de sa cause, de son fait, et que tout cela justifie tout les sacrifices.

Et pour cela, il n’hésita pas à torturer la préférée de celui qui avait été son Maître, et qu’il m’avoua qu’il aurait aimé comme sa propre fille. Votre Zoraï Blanche, celle qui, à l’âge de ton père, était la preuve que votre foi pouvait toucher même vos ennemis, et les illuminer. Et c’est lui qui provoqua sa chute. Un outil, un pion, pour faire surgir la vrai foi et la guerre sainte. Un pion, comme il en forgea tellement d’autres. Il trahit toutes les personnes qu’il aimait et les détruisit toutes. Et à chaque fois, il paya de son âme et d’un peu plus de solitude. Persuadé que sa cause et son droit valait tout les sacrifices, il se servit de tout les gens dont il avait gagné la confiance, ou le respect, même l’amour, et leur rendit en échange le venin de la trahison et de la souffrance.
Mais il avait oublié que lui aussi devrait payer le prix. Et c’est ainsi que je l’ai vu baisser les bras, renoncer à son œuvre elle-même. Peut-être a-t-il maudit Ma-duk de n’avoir jamais voulu lui répondre, à lui, son plus grand serviteur, si la grandeur se mesure à l’aune de la dévotion et des vrais sacrifices que l’on accepte de faire.
Peut-être a-t-il maudit Lao Tel'Ank d’avoir préféré tatouer la Zoraï Blanche plutôt que lui, voyant en elle la messagère qu’il cherchait. Peut-être aussi l’a-t-il simplement maudit de l’avoir si bien formé et forgé à la Foi qu’il en a perdu toute humanité.
Mais c’est une bête vieille et brisée qui s’arréta chez moi, incapable de mettre fin à ses propres jours, traquée par le fleuve du temps, et par la loi des conséquences. La Goo qu’il avait manié comme outil et arme pour en percer le secret et terrasser ses ennemis avait fini par dévorer son sang. Et il n’avait même pas la force de se condamner à être à demi-vivant comme le furent les personnes qu’il prétendit sauver de la Goo… pauvres hères qui ne pourraient même pas trouver les mots pour expliquer ce qu’ils ont endurés… ou endurent encore. Je suppose qu’il eu été plus charitable de les tuer.
Et même ce vieillard usé aux yeux morts derrière son masque fendu, appelait la mort, plutôt que ce destin… et pleura devant moi des crimes qu’il a commis, avant de partir.

Je lui souhaite que quelques torbaks aient mis fin à sa misérable vie, et n’aient pas trouvé sa carcasse mangeable. Qu’Atys la digère, et que sa sève retourne se méler à la sève, et répare un peu des crimes qu’il a semé dans toute cette vie d’illusion. »


Le chasseur regarda la vieille, tandis qu’elle se nimbait des halos de la fumée de sa pipe. Il avait au bord des lèvres des questions, il y avait tellement de récits qui manquaient pour compléter celui-là…

Mais la vieille se contenta de fumer sa pipe, tirant de grandes bouffées qui en firent rougir l’âtre.

(si vous voulez vous servir de ce sujet pour faire raconter à ses vieille d'autres légendes et conte autour de personnages d'Atys passés et présents, ne vous génez pas, c'est là pour ça, et ce sera un plaisir à lire)

Re: Contes de petite vieille.

Posted: Sun Sep 07, 2008 11:26 am
by psychee
C’est le chasseur, après quelques moments à contempler les brumes de la nuit se formant sur la canopée, étouffant le rugissement des lointains prédateurs, qui rompit le silence :

« Mais… il avait été un traitre, il est même rentré au service de deux maisons Matis qui elle-même étaient, dit-on, pire encore qu’Yrkanis, qui, après tout, doit beaucoup aux Zoraïs. »

« Ho oui, reprit la vieille. Mais je crois mieux sa version… même si ses yeux déjà morts mentent encore, quand il était près de moi, sentant la fin proche, il a fait comme tout le monde. C’est quand la mort approche que l’on sait, de quelqu’un, au nom de quoi il est prêt à mentir… Au nom de quoi il est prêt à mourir.

Et Leto aurait pu mentir et mourir pour une Matis. Sa pire ennemie, je ne parle pas de la petite matis qui avait partagé la hutte de Lao. Votre Zoraï Blanche. Non… elle, elle était un outil et une victime, et je pense qu’il n’a sincèrement jamais voulu la tuer…
Non, il était tombé dans le piège de l’admiration sans borne, de l’amour impossible et inacceptable pour une guerrière, un soldat, des temps de Jinovitch… Liandra d’Alanowë. Elle qui avait juré le tuer. Et l’a poursuivi sans trêve, comme un varynx.

C’était le surnom que les Fyros lui avaient donné. Liandra avait fait partie de la garde d’honneur de Sokkar et de son duché, l’une des plus grandes maisons en force à la fin du rêgne de Jinovitch. Mais cette maison avait fini par tomber… Yrkanis n’y est sas doutes pour rien, ce sont des maisons rivales qui s’en sont chargées avec la complicité de la Karavan, je pense… mais… »
La vieille se mit à rire, une chose qui ressemblait à une sorte de spasme immonde, comme si un animal sans nom eut décidé de pousser un râle sorti des tréfonds des racines. Rien d’un rire… « Mais je sais ce qui l’en est, sauf que ca n’a rien à fiche dans ce conte, pas vrai, l’ami ?

Toujours est-il que la Maison Sokkarie a fini par tomber… Ce n’était pas la première maison au service de qui était cette furie qui tombait, la sienne, des années auparavant, avait été balayée devant un essaim de kittins, et réduite à néant. De cette maison sont nées bien d’autres maisons mineures, plus souvent occupés à se battre entre elles et essayer de s’attirer les bonnes grâces des puissances, qu’à faire leur vrai rôle de protecteurs de la forêt, et des cités matis. En ces temps, la violence était partout.

Et le Varynx léchait ses blessures.

Les Fyros n’ont pas oublié cette furie aux cheveux noirs, tuant sans merci et sans passion, ni pitié, qui les haïssait au point de décorer son armure de leur sang. C’est eux qui l’ont surnommé la Varynx… la tueuse de Fyros.
Les trykers n’ont pas oublié qu’elle a été l’une de celles qui a le plus méfait pour les asservir, et en a fait massacrer plus d’un quand ils ont repris leur liberté. Et les Zorai… bha… son nom était dans la liste des pires ennemis de Ma-Duk… après tout, elle a servi corps et âme les plus grands serviteurs de Jena… les pires, devrais-je dire. Jena n’a pas mérité ces bouchers, elle non plus. »


Le chasseur frémit… La vieille avait comme une lueur d’admiration dans son regard, qui se perdait aux volutes de sa pipe.

« Comment pouvez-vous parler de ce monstre avec… des mots qui presque… Vous l’admirez ? »

La vieille souria, fixant le zorai, au masque peint avec attention.

« Pourquoi pas ? Il n’y a pas de raison de ne pas admirer les monstres… ce n’est pas ça que importe, ce qui importe est la force et la conviction avec laquelle ils sont allé au bout d’eux-mêmes, rencontrer leur destin, parfois apprendre leur défaite, leur erreur… et n’avoir jamais su arrêter et abandonner avant.

J’admire leur histoire, mon garçon… Pour ce qu’ils sont… S’ils étaient des monstres, ce serait sûrement plus facile. Mais pire que soit un homin, il n’a jamais pu être un monstre, totalement. On a tous une conscience et des fautes… et elle, elle en avait… beaucoup… plus que jamais tu ne l’imagineras…

Tu vois, elle a tellement plongé dans la folie, qu’elle ne pouvait s’en sortir. D’un coté il y avait celle qui avait léché ses blessures après la fin des Sokkarie et entrevu la lumière de Jena et la beauté de sa quête, et de l’autre la folle meurtrière entrainé depuis l’enfance comme on dresse un fauve, à massacrer, tuer, sans pitié, sans hésitation, sans la moindre âme.

Va savoir qui a eu l’idée dans les cieux et dans l’âme des dieux de la punir, mais elle a fini par ne plus pouvoir vivre avec ça. Et elle s’est mise à avoir deux personnalités, l’une trop paisible, essayant de comprendre comment arrêter l’autre si folle. Elle devint la main et l’exécutrice de plusieurs clans matis, un grand capitaine noble réduite à un mercenaire dément et affamé, drogué pour survivre.

C’est là qu’elle fit la connaissance d’une personne si entêtée, si courageuse et si pugnace dans sa recherche de la paix, persuadée que rien n’est impossible, qu’elle commença à changer. Je… ho… je ne pourrai pas te dire les détails de tout cela… Mais Liandra fut marqué à jamais par la Zoraï Blanche. Elle imprima quelque chose dans sa tête. Le fait que l’une des deux personnalités de la vieille guerrière se prenne pour une prêtresse de Jena du faire quelque chose… ou simplement Liandra comprit d’instinct que seule cette petite adolescente opiniâtre aurait assez de sens du pardon, de patience, et d’entêtement pour ne jamais renoncer à l’aider.

Et croit-moi ce ne fut pas facile. La zoraï blanche avait une famille zoraï, les Gardiens de la Sève… et Liandra… enfin, je t’imagine à quel point elle fut renommée pour ce qu’elle était, une tueuse ignoble. Que leur enfant adoptée aide l’un des plus abjectes ennemis des Kamis restera toujours surprenant, et pourtant… même eux participèrent à sauver la conscience de Liandra. Mais je pense que Leto, qui déjà fourbissait ses plans, ne fut pas pour rien dans toute cette histoire quand encore à l’époque il se prétendait toujours l’un des plus fervents activistes et notable des Cercles Zorai.

Il l’admirait déjà, cette féroce combattante. Va savoir s’il eu pitié de sa déchéance… Si l’idée de pitié lui était possible.

Néanmoins il se servit d’elle, par les moyens subtils et détournés qu’il avait. Tandis que la guerrière reprenait ses esprits, et sa place dans la société de la Noblesse Matis, refondant avec d’anciens Sokkarie une Maison, une école de combattants et de servant de la Foi en Jena nommée la Maison de l’Etoile d’Obsidienne, il détruisit tout ce que les Cercles et les Gardiens de la Seve avaient fait pour maintenir la paix. Il détruisit la Zoraï Blanche, et sa famille, et se servit de tous les gens qui lui avaient fait confiance pour assurer sa trahison, dans le but de démontrer, un jour, toute l’ignominie de son véritable ennemi : La Karavan… et pour cela, il n’hésita pas à servir tant son ennemi qu’il lui jura même allégeance. Mais sa parole ne valut jamais rien à l’aune de sa réelle détermination.

L’Etoile d’Obsidienne grandit, avec un nouveau capitaine, dur, mais devenu plus humain et plus sensible… Liandra d’Alanowë portait de nouveau son nom, et avait de nouveau une place, dans le monde. Et quand Leto vint avec la zoraï blanche à demi-morte, dévorée par la Goo, ce lien invisible né entre elles lui rendit impossible l’absence de pitié, et d’amour. Elle la prit sous son aile, fit des pieds et des mains pour la faire protéger et accepter par sa Maison. L’y imposer.

La petite n’avait plus de mémoire, et la Goo la dévorait, malgré les prétendus soins de Leto, devenu aux yeux de Liandra la seule chance que cette enfant aurait de vivre… elle apprit le sens de l’amour… les homines sont toutes des mères, même si elles veulent bien l’ignorer et le rejeter. Même elle.

C’est ce qui fit de Liandra l’ennemi acharné de Leto… Les mensonges peuvent tenir, mais pas contre la peur et le désir de protéger à tout prix… pas contre la haine et la crainte de la mort… Il fut trahi par son propre plan, et la guerrière sur qui tout ce qu’il espérait fonder reposait. Elle dévoila son complot, et cette fois.ci, ses appuis et ses manigances ne purent le sauver devant la société des matis.
Elle fit tout pour protéger sa fille, qu’elle avait adopté, et tout finit par la mener elle-même à trahir les siens quand elle comprit que le Zoraï savait ce que représentait cette enfant… ou prétendait assez le savoir pour que ses propres prophéties deviennent réelles…

Il y a quelques années, les Libres Frontaliers ont ouvert leurs portes à la mère et la fille, pour les abriter de leurs ennemis. La boucle était bouclée. C’était, dit-on, car les récits divergent, le père de l’enfant, le frère de Sokkar dont Liandra fut le plus fidèle vassal, qui avait été parmi les premiers de cette Garde Noire d’hommes non liés aux kamis ou à la karavan, veillant sur les déserts dans l’attente du retour des Kittins, mues par l’esprit de liberté et d’indépendance.

Liandra, la tueuse de fyros, embrassa un idéal de paix et mit son épée et sa force à leur service, pour donner un lieu de paix à son enfant. Et l’assurance d’avoir trouvé la paix, à presque cinquante cernes, fut ce qui la tua, quand de vieux ennemis revanchards un soir la tuèrent loin de tout. Ils y mirent le prix de la sève… mais elle acheva sa vie ainsi… rappelant encore une fois que tout doit être payé… même quand on croit en avoir fait assez pour essuyer sa dette. »

Re: Contes de petite vieille.

Posted: Wed Sep 17, 2008 5:48 pm
by psychee
La nuit s’avançait. Le chasseur constata que la vieille n’avait pas plus sommeil que lui.

« Et cette Zoraï Blanche ? »

Il n’avoua pas que la question lui brûlait les lèvres, mais la vieille le devina sans peine.

« Haaa, la Zoraï Blanche. Cela remonte à loin. Et ce que j’en sais, à toi de le prendre au dapper comptant. Ou de le refuser, zoraï. Moi, ça m’est égal. Je me fais mon avis là-dessus, et c’est une belle histoire. »

La vieille tira un grand coup de sa pipe.

« Elle s’appelle Psychee. Ce n’est pas un nom matis, mais elle est matis. Si je me souviens, son prénom fut employé à Yrkanis quand la Varyinx l’adopta : Elenaa. Psychee fut un second prénom, comme les lubies des matis tendent à leur en donner. On dit qu’elle est l’une des rares survivantes de la famille du frère de Sokkar, dont la caravane disparut il y a une vingtaine d’année avec toute la maisonnée, détruite par des kitins. Mais ils fuyaient en fait l’oncle de la Matis. Sokkar ne trouvait sans doute pas à son goût d’avoir un frère, une belle-sœur, et des nièces qui eurent pu lui disputer son pouvoir.

Mais bref. On raconte qu’elle fut retrouvée suite au massacre de la caravane, toujours dans les bras de sa mère, morte depuis des heures. Celui qui la retrouva était un zoraï, un éclaireur. La caravane voulait rejoindre vos Jungles, et y demander asile. Et ne sachant que faire d’une gosse de huit printemps, il l’amena devant des anciens, où se trouvait un de vos bonzes, là, un sage… Lao Tel'Ank, surnommé Pieds Bleus. Va savoir pourquoi, il décida qu’il la prendrait sous sa protection. Il la garda plusieurs années, l’initiant aux bases du culte des Kamis, et on raconte qu’il la fit tatouer d’un idéogramme à vous. Un truc qui signifie « celle qui doit venir ». Son disciple le plus studieux, Leto, en fut blessé et choqué. Parce qu’avec tellement d’attention et une telle marque, Lao révélait qu’il destinait la gosse à devenir une prêtresse… et qu’il lui pensait un destin immense. Tout ce que Leto convoitait, en fait…

Voilà comment Psychee fut adopté par les zoraï… enfin, par un, parce que pour le reste, ce fut une autre histoire.

Elle avait environ 14 ans quand elle fut confiée aux Gardiens de la Sève. Ils devinrent sa famille, c’était des proches des Cercles Zoraï, évitant de se mêler malgré tout de politique, et des gens de confiance. Ils devaient devenir sa famille, et comme la gosse était une idéaliste convaincue… et assez naïve… elle fut présentée aux Cercles Zoraï, où elle essaya de plaider sa cause pour demander à devenir citoyenne à part entière. A cette époque, personne de son espèce n’avait reçu l’honneur d’avoir simplement le droit de demander un privilège pareil.

Et c’est un peu comme ça que Leto, à cette époque commença à ourdir ses plans, lui qui avait aidé à créer les Cercles Zoraï. Il m’avoua que son maître était mort parce que c’est lui qui l’avait fait tuer. Et qu’il avait mis à profit son temps et son rang pour apprendre à manier la Goo près des Maîtres de la Goo… déjà, il fournissait des informations précieuses à des maisons matis et des Karavaniers.

Il avait appris une chose… enfin… je n’en suis pas sûr… la vérité de sa bouche, c’est discutable, mais j’avais entendu cette légende. C’est que la gosse serait celle choisie par les Kamis pour déséquilibrer les choses, et apporter la guerre, comme une arme, ou une sorte d’ennemi. Mais je pense plutôt qu’il a lui-même inventé cette légende. Qu’elle venait du fait que Lao l’avait tatoué de ces étranges mots, et la destinait à la prêtrise. Elle. Et pas lui. Mais ce que je sais, c’est que la légende de la Nemesis est son invention. Si cette rumeur en restait une mais se répandait, il aurait planté les germes de son plan… Qui avait besoin d’un instrument où focaliser toutes les envies et toutes les peurs de tous les dévots des deux cotés. Alors… il laissa trainer cette rumeur, et elle se répandit. »


La vieille se mit à rire.

« Tu sais ce que c’est une prophétie auto-réalisatrice ?... Quand assez de gens croient que quelque chose de terrible va arriver, le moindre signe en ce sens est perçu comme la preuve que ceux qu’ils croient arrivent. Ils nourrissent la légende, la prophétie. Alors, son contenu, sa réalité, me valent plus rien ! »

Elle avait appuyé le dernier mot, en se frappant le genou calleux.

« Leto avait réussi son coup. Mensonge ou pas, il avait distillé le doute. Et l’envie. Tout pour que celle qu’à ce moment là les Zoraï avaient tous surnommés la Zoraï Blanche par sa dévotion à votre Ma-Fuk et aux Kamis, devienne l’instrument de son petit jeu.

Il lui fallait juste la mettre sous sa coupe.
Elle lui avait déjà donné le moyen de la mettre dans une sale position parce qu’elle avait passé un moment dans le temple de Jena à Yrkanis avec son amie, une fille connue pour être une prêtresse : Florimelle. Une bonne excuse pour insinuer qu’on ne pouvait lui faire confiance.
Et il le fit quand elle voulut un jour, en proie au doute au sujet de sa foi, décida de passer seule le Rite de Retirement. Elle en revint des jours et des jours plus tard, empoisonnée par une lance imprégnée de Goo.

Et il n’y avait qu’un homin capable de la soigner, ou de prétendre y parvenir. Leto. Les Gardiens de la Sève furent mis devant le fait accompli, et la petite survécut plusieurs mois, grâces aux drogues du Zoraï. Et cela lui permit de voler des livres et des textes sacrés dans le sanctuaire de cette famille, et négocier ces trésors avec des maisons de la Karavan… des maisons matis, les pires de l’époque.

D’un coté, il se prétendait un initié devant les Zoraï, de l’autre il jurait fidélité à Jena avec ces trésors comme preuve de sa volonté, devant les plus sombres maisons Matis. Et il tenait la Zoraï Blanche sous sa main.

C’est ainsi qu’il se fit aider de Liandra, à cette époque. J’avoue que personne n’en a parlé… j’ai même pas un bout de rumeur à raconter sur cela, mais ça semble avoir été plutôt mauvais pour certains Kamistes.

Et puis… quand les Gardiens de la Sève trouvèrent ce qui pouvait être un remède pour sauver la gosse, Leto, qui allait passer en procès, car sa trahison était connue de tous, mais qui était réfugié chez les Matis, acheva son plan. La dernière dose de sa drogue faillit tuer la Zoraï Blanche. Oui… je crois que j’ai dis qu’elle était naïve. Toujours est-il qu’elle faillit aller se jeter dans la Goo dans une crise de folie, et que les belles paroles de Leto et de Liandra convainquirent Florimelle d’aller l’enlever dans le hall des Gardiens de la Sève, où on la laissait entrer comme amie de la petite.

C’est comme ça, que sans mémoire de sa vie passée– on ne peut pas retirer à Leto sa connaissance des poisons- elle fut recueillie par la Varynx, qui, je te l’ai raconté, la prit comme sa fille et l’adopta officiellement, en faisant d’elle une demoiselle noble de la cour Matis.

Le reste… tu le connais… »


Le chasseur fixa la vieille, laissant filer un instant, nécessaire à ses propres questions.

« Mais on raconte qu’elle est toujours là, revenue à Zora, après dix ans. Et surtout, que deux fois, au moins, on a annoncé sa mort ! »

La vieille ricana. Décidément, c’était un son assez horrible.

« Oui, chasseur, et je sais qu’elle ne vieillit pas, elle a dix-sept ans, comme quand elle succomba d’épuisement dans le manoir de l’Etoile d’Obsidienne où sa mère la vit agoniser… loin des soins de Leto, qu’elle avait chassé suite à ses trahisons toujours plus évidentes. La Goo eut raison d’elle… c’est logique.

Il y eu une tombe… et elle fut détruite par Liandra, quand sa fille réapparut, trois ans après. Plus tard, après que cette maison matis prise de folie n’ai accusé quatre personnes de félonie, dont la mère et la fille, et qu’elles ne se soient réfugiées chez les Libres Frontaliers, Liandra fut assassinée. La zorai blanche, dit-on, alla un mois et demi plus tard se jeter dans un nid de kitins. Et réapparut deux ans après. Puis disparut de nouveau, et la revoilà… ça a du faire cinq ans.
Et elle n’a pas vieilli.

Va savoir… peut-être que Lao avait raison, ou que sa Jena tient à elle, ou que Ma-Duk veille les siens, que la goo l’a maudite, ou que c’est un dernier tour de cartes de Leto… Mais, si tu veux en savoir plus, il parait qu’elle a une sœur, une tryker. Une Libre Frontalière elle aussi. Elle a vieilli elle, si je compte bien, elle doit avoir une trentaine.
Moi, je sais juste des histoires… et… pour ce soir… ça en fait assez… »