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Drone, Serae Tryker du Cercle des Profondeurs.

Posted: Mon Jan 29, 2007 7:52 pm
by shantag
« C’est une fille !!! C’est une fille, Dolus !!! »

La sage-femme était sortie en toute hâte de la grande tente. Elle franchit les quelques mètres la menant à la tablée des homins délivrant à nouveau son message à l’intention du maître des lieux.

« Te voila père pour la huitième fois d’une fringante jeune homine qui est toute blanche de pleine et bonne santé. Moïra ton épouse se porte comme un charme…elle est heureuse. »

La sage-femme repartit aussi vite qu’elle fut venue sous la tente ombragée. Les petits vagissements chevrotant venaient se mêler aux craquements doux des feux de camps.
Il n’y eut pas de conversations, pas de félicitations clamées, pas de murmures compatissants.

Tous attendaient, scrutant dans la pénombre les traits révélateurs de l’humeur de maître Dolus.

Drone sentit s’appesantir sur son épaule la main du grand matis.
La trykette eut son petit sourire de sauvageonne à l’égard de son père adoptif.

La venue de cette ultime fille dans la famille matisse du clan des sources était à la fois une libération et à la fois une détresse à ne voir naître que des mignonnettes…
Un fils, Jena s’évertuait à point en offrir au chef du clan. Celui-ci le vivait peu à peu comme une fatalité.

« Au moins elle pourra porter mes vêtements quand elle aura 8 ans, ça fait ça de moins pour les dépenses, père… »

Drone, finit par un sourire espiègle.

Dolus soupira longuement. Il resserra sa poigne paternelle sur l’épaule de la trykette et il se redressa en souriant à son tour.

« Elle s’appellera Haïka, du nom de notre aïeule fondatrice de notre clan, elle est la bienvenue et elle aura tout l’amour que son père est capable de lui offrir… »

- voila bien un nom encore bien Matis… et pourquoi pas « Pix » ? Ou Pixy ? Viens là Pyxinou ! Pixynounette !? N’embêtes pas ton vieeeeux père, il cherche encore le mode d’emploi pour faire des garçons… mais oui il a pas compris que les filles sont mille fois mieux et moins pénibles ! Hahahaha !

Drone avait fait un bond de capryni se soustrayant à l’éventuelle bourrade amicale de son père taquiné par l’insolente trykette.
Autour de la tablée, les autres membres du clan se mirent à rire, allant à leur tour de leurs paroles de réconforts à l’attention d’un Dolus qui mimait une menace de vengeance toute complaisante en réponse à la boutade de son indisciplinée fille adoptive.

« Je vais rejoindre Moïra et la féliciter. Brisez les bouchons des tonnelets, faites rôtir les caprynis et dorer les yubos. Cette nuit est une nuit de liesse, mon épouse m’a offert le précieux cadeau d’une vie. A tout à l’heure... et… Drone, par pitié range cette harpe ne terrorise pas ma toute dernière fille avec les dissonances de cet instrument dont on croirait que tu en joues avec tes pieds…

- J’ai les pieds agiles…

Dolus s’en fut sous le couvert de la tente rejoindre son épouse Moïra alors que le clan s’agitait en préparant dans la liesse les festivités prévues pour la naissance de la « 8ème fille de la famille Dolus ».

Une belle nuit faite de rires et de chansons, d’amitié et de joie partagée.




… le petit matin charriait sa brume grise au milieu des tentes du clan des sources… Le village endormi, était bercé de rêves de douceur, l’attente sereine d’une pâle aurore tardant à venir…

« Coulant dans les méandres vaporeux, silhouettes arachnoïdes hautes et tranchées, sournoisement d’une pitance homine leurs mandibules cliquetantes en réclament la chair. »

Le brouillard matinale déposait par millier des gouttes de rosée sur les pétales des fleurs, molletonnant le tapis d’herbe, nimbant d’un suaire trempé les cordages retenant le fait des grandes tentes.

« Effleurant la toile tendue, ombre parmi les ombres surgit de la bruine matinale, le démon sombre s’insinue sans bruit pour se repaître de corps endormis. »

Une main glisse de sa couche. Au bout de ses doigts perlent des gouttes brillantes de sève chaude. Des rigoles vert émeraude descendent en entrelacs le long du bras sans vie.
Le kirosta fouaille la chair de l’épouse Moïra… Un bruit… un grignotement chuinté suivit du déchirement net des chairs arrachant la peau et les entrailles sanguinolentes de la matisse éventrée.

L’époux ouvre soudain les yeux ! Sa gorge transpercée par le dard du monstre le clouant sur son lit, impuissant, le voyant se repaître de son aimée. Sa lente agonie commence, incapable du moindre appel, sentant le poison de la bête se répandre lentement dans son corps… l’œil du kirosta le scrutant froidement, une intelligence maléfique palpite derrière le reflet sans vie de sa pupille effilée.

D’autres kitins courent, crient, tuent. Leurs hurlements modulés se répondant d’une tente à une autre, perpétrant un carnage, anéantissant un village tout entier…

Dolus eu un regard pour le berceau : Esquif de nacre blanc flottant au milieu d’un voile brumeux de sève. Plume pure non touchée de la vile suppuration des sèves à la terre mêlée…

Un regard de trop… Le kirosta tourne sa lourde tête infernale : la cruauté du regard qu’il renvoie au chef du clan condamne son repos éternel à un tourment infini…
La bête en avait fini avec la mère…

Le berceau était à portée d’une de ses nombreuses pattes fourchues…

« Père ! », le cri étranglé de Drone fit sursauter le prédateur.

La trykette fut submergée d’un sentiment d’horreur absolu. Le Kirosta gronda et chargea l’intrue. La trykette plongea sur son côté. La bête fit volte-face et son dard siffla et claqua dans le vide en lieu et place où se tenait peu avant la tête de la trykette. Drone roula jusqu’aux pieds du lit qu’occupait le cadavre de Moïra. Elle s’y faufila dessous aussi vive qu’une anguille. Les mandibules tranchantes hérissant la gueule du monstre happèrent la jambe fine de l’homine et arrachèrent d’une morsure brusque et saccadée… le bas du pantalon de toile de sa proie !
Le kirosta recula et cracha les lambeaux de tissu.

… la hache lourde frappa si violemment la tête en étoile du kitin, qu’il fut déporté sur le côté par la puissance du coup. La gueule de l’animal était amputée et de la blessure coula à flot l’ichor de la bête.
Le kirosta n’eut pas le temps de rameuter à l’aide ses congénères éparses dans le village.
Drone, le visage pleurant et une lueur de meurtre animant la prunelle de ses yeux, abattit d’un coup de taille la hache de guerre de Dolus sur le reste de la tête simiesque du monstre.
Elle éclata comme un grain de raisin mûr entre deux doigts pressés.

Le kirosta fut tué sur le coup.

La trykette se rua sur le couffin. Le bébé emmitouflé dans ses couvertures chaudes, dormait…
Elle le prit, elle, haute comme trois pommes, entre ses bras et courut vers la sortie. Un dernier regard d’amour pour ses parents adoptifs et elle s’élança au dehors le cœur battant à tout rompre.

… l’arc électrique la saisit brutalement !

Nimbée d’éclairs fulminant, Drone tomba inconsciente face à l’extraordinaire kincher.
La créature avait attendu là en embuscade.
Le soldat kitin élança ses pattes avant haut dans les airs afin de les ficher dans le corps inanimé de la trykette.

Un hululement strident résonna avec force dans tout le village. Les kitins accoururent à ce signal et affluèrent dans les profondeurs de la forêt. Le kincher se détourna immédiatement de sa proie, et s’en fut après ses congénères.



« …quand je me suis réveillé, tout n’était que désolation autour de moi. »

Drone pris une gorgée de shooky du verre que lui avait tendu Aeshli.

- et le bébé ? Haïka ? demanda Dorcile.

Drone regarda un long moment ses sers et seraes cercleux venus écouter son histoire. Tous devinaient que la valeureuse trykette revivait avec émotion ces heures fatales.

- Le couffin était vide. Haïka avait disparu. Il n’y avait pas de traces de sève. Elle avait disparu. Quand j’ai retrouvé tous mes esprits j’ai fait le tour du village à la recherche de survivants… Toutes les tentes avaient leur scène de meurtre. J’ai beaucoup pleuré la mort de ma « famille ». J’ai déplacé les corps de chacun d’entre eux au centre du village. Pour éviter qu’ils ne soient dévorés par les prédateurs errant, j’ai fait un bûcher…mais il m’est apparu qu’il manquait beaucoup des miens. Une partie des villageois avait disparu.

Les cercleux n’échangeaient aucune parole, écoutant pieusement les faits que leur contait Drone.

- J’ai donc fait un grand feu. Je me moquais du retour des kitins, qu’ils me tuent aussi … moi ils m’avaient oublié… peu m’importait, j’avais tout perdu. Mais j’ai eu peu après cet espoir en me disant que certains avaient pu fuir, emmenant peut-être notre dernière née… Quand tout fut finit, aucun kitin ne s’était montré, ils étaient sortis de nulle part et sont repartis sans laisser de traces. J’ai décidé de quitter les forêts pour rejoindre la capitale Yrkanis. Si certains des miens avaient fuit, ils seraient peut être aller chercher du secours là bas…

Drone soupira longuement et dit finalement :

« Cela fait deux ans que je vis parmi vous, au cœur de la majestueuse cité arboricole. Je n’en n’ai jamais revu un seul… Je vais maintenant me retirer, j’ai…j’ai besoin d’être seule. »

Les cercleux la virent franchir penaude les portes du grand salon devinant qu’elle gagnerait sa chambre pour s’y recueillir. Drone n’en fit rien. Elle arpenta les couloirs pour retrouver le bureau du chef de leur guilde, Lilithe. Celle-ci ne devait point être couchée à cette heure.
Quand la guerrière vit débarquer la trykette, le visage ému, Lilithe l’invita à épancher sa peine en sa compagnie.
Drone avait trouvé en Lilithe une force qui lui était nécessaire pour poursuivre. En retour, Lilithe voyait en Drone ses jeunes années bouillonnantes et farfelues, une claque vive d’insouciance attendrissante…

Si Drone avait trouvé en Dolus et Moïra ses parents, Lilithe était cette sœur forte et aimante à sa manière… Du serment secret de la trykette il fut forgé en son âme que plus un seul être cher ne se verrait mourir si elle-même n’avait pas fait le sacrifice de sa vie avant.

Dans la nuit, la douce mélancolie d’un air de harpe s’envola au milieu des cieux éclatant de lumière stellaire…

Ainsi était Drone, Serae Tryker du Cercle des Profondeurs.