De toutes les nouvelles et les dépêches qu'Oscar continuait - presque par habitude - à lire, celles en provenance du Pays des Lacs lui étaient toujours douces et agréables. Elles constituaient une détente, un moment de plaisir, presque un jardin secret... Car même s'il ne l'admettait jamais en public, le Matis avait fini par aimer les Lacs, le climat si particulier d'Aeden Aqueous, sa beauté, et la spontanéité si déconcertante de ses habitants. Et, naturellement, de toutes les affaires des Trykers, c'était bien évidemment celles ayant trait à l'Assemblée des Lacs, ou aux Foires d'Avendale, qui intéressaient le plus Oscar et lui faisaient le mieux ressentir son attachement intime pour ce peuple et son intérêt pour tout ce qui touchait à son développement.
Et voilà que précisément une dépêche rapportait une notification de la Secrétaire Prysma O'Fyler ! Oscar expédia d'abord le reste du courrier, se réservant le plaisir de finir par cette lettre prometteuse...
Quel choc ! La nouvelle de la dissolution de l'Assemblée des Lacs tombait comme un couperet ! Non que ce fut réellement une surprise - Oscar suivait régulièrement les discussions en cours sur la réorganisation des institutions des réfugiés Trykers - mais... C'était comme si, d'un coup, tout un pan de sa vie, de ses préoccupations, était tranché net, hors du présent, sans avenir, relégué définitivement dans le passé. C'était...
Ainsi c'était fini. La tristesse qu'Oscar avait si vivement ressentie à l'occasion de la cérémonie d'adieux au Secrétaire Montoo, dans les Eaux du Repos, l'assaillait avec plus de vivacité encore. S'y ajoutait la sensation suffocante du vide, de la vacuité... Mais en toute justice, Oscar comprenait que la dissolution de l'Assemblée des Lacs n'était pas le vrai motif de ces sentiments. Après tout, Prysma n'avait elle pas pris cette courageuse décision dans le but de favoriser l'émergence de la future organisation des Lacs, actuellement en discussions ? En vérité, cette dissolution n'était pas une fin, pour Aeden Aqueous, mais un nouveau départ, tourné vers l'avenir, comme la mue d'un serpent qui abandonne sa vieille enveloppe pour faire peau neuve.
Non... Le terrible sentiment de vide qui s'était emparé d'Oscar, ne le renvoyait qu'à lui-même, à son propre vide, à sa propre inutilité. Ses différentes missions pour le compte du Conseil des Maisons Matis ne s'étaient soldées que par des résultats en demi teintes... Le Conseil lui-même, depuis la disparition de Maître Mogwaï, était tombé en déserrance... Et, hormis Melaria di Laria - Jena lui rende Grâce ! - qui d'autre se souciait de lui redonner vie ? Oscar lui-même se perdait en considérations ésthétiques, aussi belles, aussi vaporeuses que la brume matinale sur les majestueux jardins... Aussi vaines.
Un sourire se dessina sur les lèvres pâles du Matis. Encore une fois, la magie d'une lettre en provenance des Lacs l'avait plongé dans les délices d'une nostalgie subtilement vénéneuse... Mais avec ce brin de vie, cette pétillance si particulière, qui caractérisait si bien le peuple Tryker. Ce sentiment de reconnaissance secrète, Oscar voulu l'exprimer dans un message qu'il adresserait à Prysma. Se saisissant d'une plume, devant une feuille de beau papier, il réfléchissait. S'il ne pouvait s'ouvrir directement à elle, au moins pourrait-il lui adresser un mot d'amitié ?
Prysma O'Fyler
La nouvelle de la dissolution de l'Assemblée des Lacs est parvenue jusqu'ici, sur le Verdoyant Sommet, où elle m'a surpris en train de songer à vous. Comme j'envie votre sagesse et votre courage !
Permettez à un simple citoyen Matis, qui fut l'ami du Secrétaire Montoo, de vous exprimer tout le respect et le sentiment de la sympathie la plus vive qu'il continuera d'accorder, éternellement, à tous ceux qui ont voulu, qui ont fait, et qui ont contribué au rayonnement de l'Assemblée des Lacs. Que vous soyez celle qui, par une décision courageuse, clôt ce glorieux chapitre de l'histoire de votre peuple, vous désigne à mes yeux comme l'homine la plus digne de mes sentiments d'estime et d'admiration renouvelés, car je ne doute pas qu'en la prenant, vous continuez l'oeuvre de vos prédécesseurs, vous la perpétuez, en ouvrant de merveilleuses perspectives pour la nouvelle organisation des Lacs, actuellement en discussions. Quel enseignement !
J'aurais voulu rester plus longuement, la dernière fois que nous nous sommes vus. J'aimerais mieux vous connaître, il me semble que je grandirais.
Humblement votre serviteur,
Oscar de l'Ormeray