[Nemesis] Resurrection.
Posted: Wed Apr 27, 2005 7:51 am
Elle hurla.
Cétait un cri primal poussé du plus loin de son subconscient, des racines animales de lhominité. Le cri dun corps respirant pour la première fois, le cri de muscles tétanisés soudain soumis à la pesanteur, le cri dun esprit à sa première étincelle de conscience : « je suis ».
Elle hurla encore, longuement, un hululement inhomin, tandis quelle se tordait comme un vers avant de se prostrer en roulant sur son flanc gauche. Leau glacée lui éclaboussa le corps et elle en avala des gorgées involontaires qui se perdirent entre poumons et sophage. Elle fit bouger ses bras devant elle comme un pantin désarticulé, soulevant un voile léger comme un linceul quelle rejeta au loin.
Puis elle se mit à haleter, recrovillée sur elle-même, avec comme seule conscience dêtre en vie, chaque respiration brûlant des alvéoles pulmonaires qui ont cessé de servir depuis trop longtemps, chaque soulèvement de poitrine voulant déchirer muscles et ligaments dun buste trop longtemps resté inerte. Nulle pensée ne se formait dans ce cerveau qui réapprenait à peine à exister, seulement une conscience, et des perceptions balbutiantes.
Elle ouvrit les yeux, et hurla encore dune voix rauque avant de se recroviller encore plus sur elle-même. Odeurs et bruits devenaient des agressions violentes et insoutenables, et le bruit de son sang courant dans ses veines devint un mugissement sourd et rythmé que son corps ne parvenait pas à ignorer.
Le jour courut sur tout le firmament, puis ce fut le tour de la nuit de prendre le relais sur lEcorce. La petite vieille ne relâcha pas sa vigilance silencieuse.
Elle rouvrit les yeux. Elle avait très froid, et le sol était dur. Elle pu tourner la tête pour voir quelle était sur une sorte de vasque naturelle gravée dans la pierre, où courrait une eau glacée. Elle entendait le bruit de chutes et des rapides dun torrent, et son regard croisa le ciel, à travers quelques feuilles automnales. Elle se demanda où elle était. Le soleil caressait la canopée, mais rien qui lui permette de reconnaître quelque chose.
Elle essaya de bouger, mais faire plus que tenter de glisser dans son bassin lui arrachait des gémissements de douleur tandis que son corps entier protestait et lui refusait tout effort. Elle parvint pourtant à relever la tête, et, en glissant sur elle-même en une longue reptation sur le dos, centimètre par centimètre, elle pu se poser au bord du bassin, laissant sa tête et son torse hors de leau.
Le temps que la douleur dun tel effort reflue, elle se demande qui elle était. Elle se sentit saffoler quand la réponse tarda à venir. Elle paniquait, quand elle parvient à se souvenir, prononçant sa réponse à travers un murmure rocailleux de voix brisée.
- « Eleena di Aquilon non Psychée Psychée dAlanowë, fille de Liandra dAlanowë ».
Elle saffola à ce dernier nom. Liandra ! La mémoire décida de lui revenir en un fleuve de souvenirs, un torrent de mots, de sentiments et dimages dans un flot tumultueux et furieux.
Deux ans de vie commune avec sa mère adoptive, la mémoire détruite puis lentement retrouvée, sa personnalité fragmentée et brisée, sa foi assassinée et reconstruite, son entrée dans la Maison de lEtoile dObsidienne, sa rencontre avec les anciens chevaliers de Sokkar, les longs mensonges et les trahisons de Leto, sa lente agonie dévorée par la Goo, ses derniers mois alité avec Liandra, à son chevet, au-delà du désespoir, sachant sa fille et sa raison de vivre condamnée à séteindre. Son dernier adieu, des larmes coulant sur les joues de linsensible et cruelle Maîtresse des lames alors quelle disait au revoir à sa fille pour son dernier souffle. Puis une obscurité peuplée de rêves et de cauchemars dans un couffin douate et de silence
Le temps séchappa pour se perdre dans les vapeurs du soir, tandis que Psychée regardait la lueur du soleil teindre le ciel de mauves et de bruns. Sa mémoire était devenu un lac immense aux eaux infinies, quelle explorait sans pouvoir en apercevoir les cotes. Ses yeux carmin ouverts sur le vide céleste, elle voyait sa mémoire comme on voit une révélation sans fin défiler à son regard. De la petite fille à la jeune adulte, le livre de sa vie était le récit dun drame annoncé où chaque acteur savait à quelle scène il allait périr après lavoir croisée. Le destin avait effacé dans le sang et le feu sa famille au complet et tout les êtres quelle avait pu aimer sans une chance de rédemption.
Et elle navait eu quun souhait : vivre comme elle croyait que pouvaient espérer vivre et grandir tout les jeunes homins de son age.
Elle fut témoin de sa renconrte enfant avec Pieds-Bleus qui fut le premier homin à tendre la main vers elle, et qui lui conta le secret des Kamis, sans haines et sans passion, de son amour pour Leoll, et de son affection pour sa famille Zoraï, la disparition de son premier ami et mentor Xerius, la fin de Zortine, la disparition de ses si douces amies Nynia, dAwa, de Sahara en qui elle avait vu toute la puissance du désespoir derrière linhominité, lhistoire damour si terrible entre elle et Florimelle, les souffrances de sa si fidèle Melowen qui voulait la suivre jusquaux enfers, les liens empathiques qui se tissaient avec tout les êtres quelle croisait et aimait, le partage dâme entre elle et le terrible Leto, la fin et la mort de tous, disparus dans les ombres ou brûlés dans le sang et le feu.
Elle avait été la Zoraï Blanche, le symbole dune part entière des peuples dAtys, le nom utilisé pour parler de paix et despoir, mais aussi dorgueil et de folie. Elle avait été la plus grande fidèle aux idéaux des Kamis et la pire des traîtresses aux yeux de son propre peuple. Elle avait été le sujet de lamour et de la haine dun monde entier, et son nom ou ses mots avaient déclenchés des flots dengouement et des brisants de rage.
Elle avait été marqué et frappé du destin, avait entendu la voix dAtys et de toutes les vies qui rampent, poussent, et marchent sur lEcorce, elle avait été tout et tous, à la recherche dune réponse à ses terreurs. Elle avait cru, jusquau bout, et de toutes ses forces, à la paix, à une chance de vivre unis, et darrêter avant quelle narrive la guerre entre factions et peuples. Elle sétait battue pour refuser dêtre dévorée par le poison quon avait injecté dans ses veines. Elle avait cru en elle, elle avait cru dans le destin, elle avait cru en tout ceux quelle aimait, et avait cru en les Kamis, sans jamais mépriser la Foi de Jena.
Et avait vu sa mémoire détruite, avait vu son corps corrompu, et étais morte en abandonnant sa mère à la solitude.
La vieille regardait la jeune matis au corps abîmé et déchiré perdue dans son monde, allongée contre le bassin, immobile. Elle ne perdait pas une once des pensées de la jeune homine. Les liens entre les âmes que cette fille pouvait créer avec les êtres, il y avait belle lurette quelle en maîtrisait les arcanes. Elle était en vie, ce qui était déjà un bon point. La vieille sourit. Sûr que Jena et les Kamis nallaient pas la laisser mourir, aussi bien la Déesse quelle servait que ces démons avaient trop à attendre de la vie de cette petite pousse.
Elle pencha la tête, écoutant le tumulte des voix dans la tête de la jeune fille. Ca venait de partout, les chants inhomins des Kamis et dAtys, où elle entendit la voix célèste de Jena, ce que cette gamine nentendrait jamais réellement. Les âmes de tous ces êtres passés et disparus, morts ou si loin et dont la trace dans son esprit créaient des échos qui se répercutaient dun être à lautre. Un sacré bazar que cette mémoire là, un sacré bazar que ce destin.
Donc, elle savait tout delle. Elle en avait conscience, et regardait, abasourdie, sa propre existence. Elle aurait bien conscience quelle était de nouveau en vie.
La vieille sourit.
Il avait fallu du boulot.
Elle avait laissé Liandra enterrer sa fille, et avait attendue la nuit. Creuser à son âge avait été pénible, il avait fallu déplacer les pierres du tombeau, puis sortir et traîner le corps, pas question de demander de laide. De lénergie elle nen manquait pas, mais de la force, à son age, il ne fallait pas trop en demander.
La gamine était encore en vie, mais elle le savait. La Déesse le lui avait dit, les reflets de leau avaient été clairs, et elle navait eu quà sapprocher de la tombe pour le savoir. Mais il ny avait quun souffle dans un corps éteint et dévoré. Rien des sciences des homins ne pourraient la tirer de là, sauf les plus sombres secrets de Leto, sans doutes.
Elle souria.
Un autre grand destin, celui-là. Quel bonhomme. Il allait encore secouer lécorce bien des fois, et la mort navait toujours pas envie daller le chercher. Et elle ne viendrait pas dici bien longtemps.
La vieille avait porté le corps jusquà son mektoub, et avait commencé un long voyage vers le Sud, jusquà sa masure. Là, elle avait déposé le corps dévoré par la Goo de la matis dans un bassin deau perpétuellement glacée, alimenté par un énorme glacier au dessus des chutes. Et longuement, lentement, elle avait soigné ce corps qui pouvait se mourir au moindre souffle.
Années après années, elle avait pris soin de la comateuse, et avait ouverts des plaies doù elle faisait évacuer la Goo. Pas à pas, elle injectait de terribles mélanges alchimiques dans les veines corrodées, pour pousser le corps à cesser sa mutation. A chaque lune, elle commençait des rituels que mêmes les plus sombres mages kamiste eurent redouté de connaître pour contrôler la vie vacillante de ce corps et cette âme déchirée. Jour après jour, elle priait et laissait le corps baigner dans leau, tandis quelle le massait pour lempêcher de se déliter.
La voix de la Déesse frôlait les frontières de sa conscience, et elle naurait pour rien au monde interrompu sa tâche. Il fallait que cette jeune homine vive, et pour ça, elle était la seule à pouvoir parvenir à ce miracle.
Elle navait pas cessé sa vieille un seul jour, en trois ans. Le corps était resté immergé dans leau de ce bassin. Elle navait ni besoin de respirer, ni de se nourrir dans ce cocon glacé. Comme elle lavait fait avec sa mère avant elle, la vieille sorcière ramenait une âme à la vie, rectifiait le destin, retraçait la route de lhistoire. Comme elle devrait le faire pour longtemps si longtemps.
Psychée rouvrit les yeux une fois encore, elle avait du dormir longtemps mais ne se rappelait pas sêtre assoupie. Le froid la saisit, et cette fois-ci, elle eu comme réflexe de se redresser, et essayer de sortir de leau. Son corps était dune terrible faiblesse, mais elle pu glisser et sasseoir au bord du bassin.
Une voix brisa les faibles et doux bruits de la nature qui régnait autour delle :
« Tu te réveille enfin, gamine. Il était temps, jen avais marre de moccuper de toi. »
Psychée tourna la tête, et vit la vieille. Ridée, fripée, tordue, il était difficile de lui donner un age Jena, pouvait-on être aussi vieille ?... On aurait même eu du mal à dire de quel peuple elle venait, Fyros ou Matis ?... La vieillesse était en fait sans doutes sa seule et plus forte identité.
« Qui qui êtes-vous, et où suis-je ? »
« Bonnes questions. Tu es chez moi, et je suis une vieille sorcière que ta mère a croisé un jour, petite. Cest déjà assez pour aujourdhui. Tu es en vie, mais il y a encore un sacré boulot avant que tu ne te remettes à marcher »
Psychée ne répondit pas, surprise par le ton sans ambages de la vieille. Celle-ci approcha, et se mit en devoir de commencer à traîner le corps de la matis hors de leau.
« Allez, par Jena, aides-moi un peu, hein, même si maigre, tes os pèsent lourd ! »
Sensuivit une longue, pénible, et qui eu pu être comique en dautres lieux scène defforts conjoints, la jeune matis essayant tant bien que mal de faire mouvoir son corps épuisé et amaigri, et la vieille sorcière se battant avec ce corps chétif comme dun fagot malaisé, sur une cinquantaine de mètres. Finalement, la vieille fit entrer Psychée en la traînant jusque dans sa hutte, où elle réussit à lallonger sur une couche.
« Voilà on y est, dit-elle en recouvrant le corps nue de la jeune homine dune couverture rugueuse. Tu va te rendormir, petite, et tu va te reposer, parce que dès demain, il va falloir remettre en état ton corps. »
« Attendez, répondit Psychée. Expliquez-moi ce que je fais ici, comment je suis arrivée là, comment suis-je en vie ? »
« Holà, on verra ça plus tard. Tu as le temps, croit-moi. Dors. »
Les jours passèrent semblables aux autres. La vieille apparaissait à un moment de la journée, quand Psychée avait faim. Elle la nourrissait de bouillons et de brouets. Les premières fois, ladolescente avait vomi, et mangeait très peu. Puis elle saisissait les membres de la malade, et se mettait à les faire bouger et travailler, les uns après les autres, au grand mépris des gémissements et des plaintes de sa patiente. Elle la nourrissait la nuit tombée, puis disparaissait de nouveau.
Elle refusa toujours de répondre aux questions de lhomine, et était aussi insensible à ses demandes quà ses larmes.
Psychée ne cessait de penser à Liandra, incapable de ressentir la présence de sa mère, la terreur au ventre dimaginer la Maîtresse des Lames mettant fin à ses jours. Elle avait essayé de diriger ses pensées vers sa chère Melowen, mais quoi quelle fasse, à qui quelle pense, lui répondait un silence terrible. Elle ne ressentait plus la présence des gens qui lui étaient chers, juste le vide insondable dun lieu loin de tout. Ses nuits de solitude étaient envahies de cauchemars et de vision, quelle refoulait en se réveillant dans ses larmes.
Et les jours et les nuits passaient sans changer, immuables, et seule les feuilles tombant de la branche que Psychée voyait à travers la petite fenêtre permettaient de voir le temps ségrener.
Elle pu commencer à sasseoir, puis se lever, enfin. Faire quelques pas était un long moment de souffrance tandis quelle avançait avec maladresse et sans grâce sur des jambes sans force.
La vieille laidait toujours, la nourrissait toujours, et éludait toujours ses questions.
Pourtant, un soir, la sorcière resta après avoir nourrie sa patiente, qui avait enfin pu sortir de la cabane, et profiter de pâle soleil dun automne mourant.
« Tu pourra bientôt marcher seule, et je ne vais pas te retenir, jen ai marre de moccuper de toi. Tu tes remise, ça va faire trois mois que tu traînes au lit, il serait temps de te bouger. Et jen ai marre de tes questions, alors autant te répondre, comme ça tu va arrêter de magacer avec ça. »
« Alors, dites-moi Quest-il arrivé, pourquoi suis-je encore en vie ? »
« Facile Ce nest pas ton heure. Même avec ce que tu as fais, vu, et vécu, toi, lancienne zoraï blanche que certains nomment Némésis, petit corps fragile et mortel qui porte en son sein deux âmes, il nest pas temps que tu meurs. Jai été te chercher dans le trou que ta mère avait creusé, avant que ce quil te restait de vie ne séteigne. Tu peux remercier lami endormi qui vit en toi. Nimporte quel homin en pleine santé aurait crevé, alors une gosse aussi frêle que toi, jen parle pas. »
« Alors, pourquoi ?! »
« Tu le sais déjà, tu na juste pas envie de ten rappeler. Tu connais ton nom, nest-ce pas, de qui tu es la nièce, et lhéritière ?... Tu sais pourquoi ton clan fut décimé, et pourquoi, si quelquun pouvait connaître ton secret, tu serais de sitôt exécutée par la Karavan.
Tu es le jouet dAtys, gamine, une part du destin. Petite ou grande, quimporte. Tu changera peut-être tout, ou ne changera rien, mais tout ce que tu touche ou côtoie est englouti par le livre quon a écrit pour toi. Jena te veut autant que ces démons, au point sans doutes daccepter que tu nappartiennes à aucun deux, et à eux deux à la fois. Tu ne mourra pas comme ça, croit-moi. »
« Vieille femme Comment savez-vous ça ? Où est Liandra, où sont les gens que jaime ? Savent-ils que je suis en vie ?! »
« Hé ho, une question à la fois, petite. Je le sais parce que je parle avec Elle, et quelle me demande des choses. Parce que ton petit intrus parle beaucoup lui aussi, même sil est aussi mort que tu las été. Parce que je sais qui est la Némésis, et que je sais quels cauchemars te hantent, et à quel futur tu essayes déchapper.
Et pour ta mère et les autres, jen sais rien, tu nas quun moyen de le savoir Retourner dans ton monde petite. »
Elle ne dit plus rien, et Psychée se tu. Il ny avait pas réellement de mots pour poursuivre au-delà de ces révélations qui nappelaient aucune contestation. Cette vieille pouvait être folle, mais Psychée était vivante, et ne doutait pas des paroles quelle eut pu avoir. La vieille sortit, la nuit était déjà avancée, et ne revint pas.
Le lendemain, elle ne réapparut pas.
Psychée attendit trois jours. Elle du se lever, et marcher, pour cuisiner, et aller chercher de leau. Au bout de trois jours, elle se sentait plus sûr. Elle ne portait sur le dos que les vêtements élimés fait de tissus rêches que la vieille lui avait donnait, et était pieds nus.
La nuit venue, la vieille ne revint pas.
Psychée regarda longuement les étoiles, et essaya de se situer Il lui fallu longtemps pour en être sûr, mais elle finit par trouver.
Quand laube se leva, elle marchait vers Yrkanis, une couverture comme manteau, quelques herbes enfermant du brouet comme provisions. Et avec la peur et lespoir au ventre.
Elle ne savait pas encore quelle avait disparue trois années
Cétait un cri primal poussé du plus loin de son subconscient, des racines animales de lhominité. Le cri dun corps respirant pour la première fois, le cri de muscles tétanisés soudain soumis à la pesanteur, le cri dun esprit à sa première étincelle de conscience : « je suis ».
Elle hurla encore, longuement, un hululement inhomin, tandis quelle se tordait comme un vers avant de se prostrer en roulant sur son flanc gauche. Leau glacée lui éclaboussa le corps et elle en avala des gorgées involontaires qui se perdirent entre poumons et sophage. Elle fit bouger ses bras devant elle comme un pantin désarticulé, soulevant un voile léger comme un linceul quelle rejeta au loin.
Puis elle se mit à haleter, recrovillée sur elle-même, avec comme seule conscience dêtre en vie, chaque respiration brûlant des alvéoles pulmonaires qui ont cessé de servir depuis trop longtemps, chaque soulèvement de poitrine voulant déchirer muscles et ligaments dun buste trop longtemps resté inerte. Nulle pensée ne se formait dans ce cerveau qui réapprenait à peine à exister, seulement une conscience, et des perceptions balbutiantes.
Elle ouvrit les yeux, et hurla encore dune voix rauque avant de se recroviller encore plus sur elle-même. Odeurs et bruits devenaient des agressions violentes et insoutenables, et le bruit de son sang courant dans ses veines devint un mugissement sourd et rythmé que son corps ne parvenait pas à ignorer.
Le jour courut sur tout le firmament, puis ce fut le tour de la nuit de prendre le relais sur lEcorce. La petite vieille ne relâcha pas sa vigilance silencieuse.
Elle rouvrit les yeux. Elle avait très froid, et le sol était dur. Elle pu tourner la tête pour voir quelle était sur une sorte de vasque naturelle gravée dans la pierre, où courrait une eau glacée. Elle entendait le bruit de chutes et des rapides dun torrent, et son regard croisa le ciel, à travers quelques feuilles automnales. Elle se demanda où elle était. Le soleil caressait la canopée, mais rien qui lui permette de reconnaître quelque chose.
Elle essaya de bouger, mais faire plus que tenter de glisser dans son bassin lui arrachait des gémissements de douleur tandis que son corps entier protestait et lui refusait tout effort. Elle parvint pourtant à relever la tête, et, en glissant sur elle-même en une longue reptation sur le dos, centimètre par centimètre, elle pu se poser au bord du bassin, laissant sa tête et son torse hors de leau.
Le temps que la douleur dun tel effort reflue, elle se demande qui elle était. Elle se sentit saffoler quand la réponse tarda à venir. Elle paniquait, quand elle parvient à se souvenir, prononçant sa réponse à travers un murmure rocailleux de voix brisée.
- « Eleena di Aquilon non Psychée Psychée dAlanowë, fille de Liandra dAlanowë ».
Elle saffola à ce dernier nom. Liandra ! La mémoire décida de lui revenir en un fleuve de souvenirs, un torrent de mots, de sentiments et dimages dans un flot tumultueux et furieux.
Deux ans de vie commune avec sa mère adoptive, la mémoire détruite puis lentement retrouvée, sa personnalité fragmentée et brisée, sa foi assassinée et reconstruite, son entrée dans la Maison de lEtoile dObsidienne, sa rencontre avec les anciens chevaliers de Sokkar, les longs mensonges et les trahisons de Leto, sa lente agonie dévorée par la Goo, ses derniers mois alité avec Liandra, à son chevet, au-delà du désespoir, sachant sa fille et sa raison de vivre condamnée à séteindre. Son dernier adieu, des larmes coulant sur les joues de linsensible et cruelle Maîtresse des lames alors quelle disait au revoir à sa fille pour son dernier souffle. Puis une obscurité peuplée de rêves et de cauchemars dans un couffin douate et de silence
Le temps séchappa pour se perdre dans les vapeurs du soir, tandis que Psychée regardait la lueur du soleil teindre le ciel de mauves et de bruns. Sa mémoire était devenu un lac immense aux eaux infinies, quelle explorait sans pouvoir en apercevoir les cotes. Ses yeux carmin ouverts sur le vide céleste, elle voyait sa mémoire comme on voit une révélation sans fin défiler à son regard. De la petite fille à la jeune adulte, le livre de sa vie était le récit dun drame annoncé où chaque acteur savait à quelle scène il allait périr après lavoir croisée. Le destin avait effacé dans le sang et le feu sa famille au complet et tout les êtres quelle avait pu aimer sans une chance de rédemption.
Et elle navait eu quun souhait : vivre comme elle croyait que pouvaient espérer vivre et grandir tout les jeunes homins de son age.
Elle fut témoin de sa renconrte enfant avec Pieds-Bleus qui fut le premier homin à tendre la main vers elle, et qui lui conta le secret des Kamis, sans haines et sans passion, de son amour pour Leoll, et de son affection pour sa famille Zoraï, la disparition de son premier ami et mentor Xerius, la fin de Zortine, la disparition de ses si douces amies Nynia, dAwa, de Sahara en qui elle avait vu toute la puissance du désespoir derrière linhominité, lhistoire damour si terrible entre elle et Florimelle, les souffrances de sa si fidèle Melowen qui voulait la suivre jusquaux enfers, les liens empathiques qui se tissaient avec tout les êtres quelle croisait et aimait, le partage dâme entre elle et le terrible Leto, la fin et la mort de tous, disparus dans les ombres ou brûlés dans le sang et le feu.
Elle avait été la Zoraï Blanche, le symbole dune part entière des peuples dAtys, le nom utilisé pour parler de paix et despoir, mais aussi dorgueil et de folie. Elle avait été la plus grande fidèle aux idéaux des Kamis et la pire des traîtresses aux yeux de son propre peuple. Elle avait été le sujet de lamour et de la haine dun monde entier, et son nom ou ses mots avaient déclenchés des flots dengouement et des brisants de rage.
Elle avait été marqué et frappé du destin, avait entendu la voix dAtys et de toutes les vies qui rampent, poussent, et marchent sur lEcorce, elle avait été tout et tous, à la recherche dune réponse à ses terreurs. Elle avait cru, jusquau bout, et de toutes ses forces, à la paix, à une chance de vivre unis, et darrêter avant quelle narrive la guerre entre factions et peuples. Elle sétait battue pour refuser dêtre dévorée par le poison quon avait injecté dans ses veines. Elle avait cru en elle, elle avait cru dans le destin, elle avait cru en tout ceux quelle aimait, et avait cru en les Kamis, sans jamais mépriser la Foi de Jena.
Et avait vu sa mémoire détruite, avait vu son corps corrompu, et étais morte en abandonnant sa mère à la solitude.
La vieille regardait la jeune matis au corps abîmé et déchiré perdue dans son monde, allongée contre le bassin, immobile. Elle ne perdait pas une once des pensées de la jeune homine. Les liens entre les âmes que cette fille pouvait créer avec les êtres, il y avait belle lurette quelle en maîtrisait les arcanes. Elle était en vie, ce qui était déjà un bon point. La vieille sourit. Sûr que Jena et les Kamis nallaient pas la laisser mourir, aussi bien la Déesse quelle servait que ces démons avaient trop à attendre de la vie de cette petite pousse.
Elle pencha la tête, écoutant le tumulte des voix dans la tête de la jeune fille. Ca venait de partout, les chants inhomins des Kamis et dAtys, où elle entendit la voix célèste de Jena, ce que cette gamine nentendrait jamais réellement. Les âmes de tous ces êtres passés et disparus, morts ou si loin et dont la trace dans son esprit créaient des échos qui se répercutaient dun être à lautre. Un sacré bazar que cette mémoire là, un sacré bazar que ce destin.
Donc, elle savait tout delle. Elle en avait conscience, et regardait, abasourdie, sa propre existence. Elle aurait bien conscience quelle était de nouveau en vie.
La vieille sourit.
Il avait fallu du boulot.
Elle avait laissé Liandra enterrer sa fille, et avait attendue la nuit. Creuser à son âge avait été pénible, il avait fallu déplacer les pierres du tombeau, puis sortir et traîner le corps, pas question de demander de laide. De lénergie elle nen manquait pas, mais de la force, à son age, il ne fallait pas trop en demander.
La gamine était encore en vie, mais elle le savait. La Déesse le lui avait dit, les reflets de leau avaient été clairs, et elle navait eu quà sapprocher de la tombe pour le savoir. Mais il ny avait quun souffle dans un corps éteint et dévoré. Rien des sciences des homins ne pourraient la tirer de là, sauf les plus sombres secrets de Leto, sans doutes.
Elle souria.
Un autre grand destin, celui-là. Quel bonhomme. Il allait encore secouer lécorce bien des fois, et la mort navait toujours pas envie daller le chercher. Et elle ne viendrait pas dici bien longtemps.
La vieille avait porté le corps jusquà son mektoub, et avait commencé un long voyage vers le Sud, jusquà sa masure. Là, elle avait déposé le corps dévoré par la Goo de la matis dans un bassin deau perpétuellement glacée, alimenté par un énorme glacier au dessus des chutes. Et longuement, lentement, elle avait soigné ce corps qui pouvait se mourir au moindre souffle.
Années après années, elle avait pris soin de la comateuse, et avait ouverts des plaies doù elle faisait évacuer la Goo. Pas à pas, elle injectait de terribles mélanges alchimiques dans les veines corrodées, pour pousser le corps à cesser sa mutation. A chaque lune, elle commençait des rituels que mêmes les plus sombres mages kamiste eurent redouté de connaître pour contrôler la vie vacillante de ce corps et cette âme déchirée. Jour après jour, elle priait et laissait le corps baigner dans leau, tandis quelle le massait pour lempêcher de se déliter.
La voix de la Déesse frôlait les frontières de sa conscience, et elle naurait pour rien au monde interrompu sa tâche. Il fallait que cette jeune homine vive, et pour ça, elle était la seule à pouvoir parvenir à ce miracle.
Elle navait pas cessé sa vieille un seul jour, en trois ans. Le corps était resté immergé dans leau de ce bassin. Elle navait ni besoin de respirer, ni de se nourrir dans ce cocon glacé. Comme elle lavait fait avec sa mère avant elle, la vieille sorcière ramenait une âme à la vie, rectifiait le destin, retraçait la route de lhistoire. Comme elle devrait le faire pour longtemps si longtemps.
Psychée rouvrit les yeux une fois encore, elle avait du dormir longtemps mais ne se rappelait pas sêtre assoupie. Le froid la saisit, et cette fois-ci, elle eu comme réflexe de se redresser, et essayer de sortir de leau. Son corps était dune terrible faiblesse, mais elle pu glisser et sasseoir au bord du bassin.
Une voix brisa les faibles et doux bruits de la nature qui régnait autour delle :
« Tu te réveille enfin, gamine. Il était temps, jen avais marre de moccuper de toi. »
Psychée tourna la tête, et vit la vieille. Ridée, fripée, tordue, il était difficile de lui donner un age Jena, pouvait-on être aussi vieille ?... On aurait même eu du mal à dire de quel peuple elle venait, Fyros ou Matis ?... La vieillesse était en fait sans doutes sa seule et plus forte identité.
« Qui qui êtes-vous, et où suis-je ? »
« Bonnes questions. Tu es chez moi, et je suis une vieille sorcière que ta mère a croisé un jour, petite. Cest déjà assez pour aujourdhui. Tu es en vie, mais il y a encore un sacré boulot avant que tu ne te remettes à marcher »
Psychée ne répondit pas, surprise par le ton sans ambages de la vieille. Celle-ci approcha, et se mit en devoir de commencer à traîner le corps de la matis hors de leau.
« Allez, par Jena, aides-moi un peu, hein, même si maigre, tes os pèsent lourd ! »
Sensuivit une longue, pénible, et qui eu pu être comique en dautres lieux scène defforts conjoints, la jeune matis essayant tant bien que mal de faire mouvoir son corps épuisé et amaigri, et la vieille sorcière se battant avec ce corps chétif comme dun fagot malaisé, sur une cinquantaine de mètres. Finalement, la vieille fit entrer Psychée en la traînant jusque dans sa hutte, où elle réussit à lallonger sur une couche.
« Voilà on y est, dit-elle en recouvrant le corps nue de la jeune homine dune couverture rugueuse. Tu va te rendormir, petite, et tu va te reposer, parce que dès demain, il va falloir remettre en état ton corps. »
« Attendez, répondit Psychée. Expliquez-moi ce que je fais ici, comment je suis arrivée là, comment suis-je en vie ? »
« Holà, on verra ça plus tard. Tu as le temps, croit-moi. Dors. »
Les jours passèrent semblables aux autres. La vieille apparaissait à un moment de la journée, quand Psychée avait faim. Elle la nourrissait de bouillons et de brouets. Les premières fois, ladolescente avait vomi, et mangeait très peu. Puis elle saisissait les membres de la malade, et se mettait à les faire bouger et travailler, les uns après les autres, au grand mépris des gémissements et des plaintes de sa patiente. Elle la nourrissait la nuit tombée, puis disparaissait de nouveau.
Elle refusa toujours de répondre aux questions de lhomine, et était aussi insensible à ses demandes quà ses larmes.
Psychée ne cessait de penser à Liandra, incapable de ressentir la présence de sa mère, la terreur au ventre dimaginer la Maîtresse des Lames mettant fin à ses jours. Elle avait essayé de diriger ses pensées vers sa chère Melowen, mais quoi quelle fasse, à qui quelle pense, lui répondait un silence terrible. Elle ne ressentait plus la présence des gens qui lui étaient chers, juste le vide insondable dun lieu loin de tout. Ses nuits de solitude étaient envahies de cauchemars et de vision, quelle refoulait en se réveillant dans ses larmes.
Et les jours et les nuits passaient sans changer, immuables, et seule les feuilles tombant de la branche que Psychée voyait à travers la petite fenêtre permettaient de voir le temps ségrener.
Elle pu commencer à sasseoir, puis se lever, enfin. Faire quelques pas était un long moment de souffrance tandis quelle avançait avec maladresse et sans grâce sur des jambes sans force.
La vieille laidait toujours, la nourrissait toujours, et éludait toujours ses questions.
Pourtant, un soir, la sorcière resta après avoir nourrie sa patiente, qui avait enfin pu sortir de la cabane, et profiter de pâle soleil dun automne mourant.
« Tu pourra bientôt marcher seule, et je ne vais pas te retenir, jen ai marre de moccuper de toi. Tu tes remise, ça va faire trois mois que tu traînes au lit, il serait temps de te bouger. Et jen ai marre de tes questions, alors autant te répondre, comme ça tu va arrêter de magacer avec ça. »
« Alors, dites-moi Quest-il arrivé, pourquoi suis-je encore en vie ? »
« Facile Ce nest pas ton heure. Même avec ce que tu as fais, vu, et vécu, toi, lancienne zoraï blanche que certains nomment Némésis, petit corps fragile et mortel qui porte en son sein deux âmes, il nest pas temps que tu meurs. Jai été te chercher dans le trou que ta mère avait creusé, avant que ce quil te restait de vie ne séteigne. Tu peux remercier lami endormi qui vit en toi. Nimporte quel homin en pleine santé aurait crevé, alors une gosse aussi frêle que toi, jen parle pas. »
« Alors, pourquoi ?! »
« Tu le sais déjà, tu na juste pas envie de ten rappeler. Tu connais ton nom, nest-ce pas, de qui tu es la nièce, et lhéritière ?... Tu sais pourquoi ton clan fut décimé, et pourquoi, si quelquun pouvait connaître ton secret, tu serais de sitôt exécutée par la Karavan.
Tu es le jouet dAtys, gamine, une part du destin. Petite ou grande, quimporte. Tu changera peut-être tout, ou ne changera rien, mais tout ce que tu touche ou côtoie est englouti par le livre quon a écrit pour toi. Jena te veut autant que ces démons, au point sans doutes daccepter que tu nappartiennes à aucun deux, et à eux deux à la fois. Tu ne mourra pas comme ça, croit-moi. »
« Vieille femme Comment savez-vous ça ? Où est Liandra, où sont les gens que jaime ? Savent-ils que je suis en vie ?! »
« Hé ho, une question à la fois, petite. Je le sais parce que je parle avec Elle, et quelle me demande des choses. Parce que ton petit intrus parle beaucoup lui aussi, même sil est aussi mort que tu las été. Parce que je sais qui est la Némésis, et que je sais quels cauchemars te hantent, et à quel futur tu essayes déchapper.
Et pour ta mère et les autres, jen sais rien, tu nas quun moyen de le savoir Retourner dans ton monde petite. »
Elle ne dit plus rien, et Psychée se tu. Il ny avait pas réellement de mots pour poursuivre au-delà de ces révélations qui nappelaient aucune contestation. Cette vieille pouvait être folle, mais Psychée était vivante, et ne doutait pas des paroles quelle eut pu avoir. La vieille sortit, la nuit était déjà avancée, et ne revint pas.
Le lendemain, elle ne réapparut pas.
Psychée attendit trois jours. Elle du se lever, et marcher, pour cuisiner, et aller chercher de leau. Au bout de trois jours, elle se sentait plus sûr. Elle ne portait sur le dos que les vêtements élimés fait de tissus rêches que la vieille lui avait donnait, et était pieds nus.
La nuit venue, la vieille ne revint pas.
Psychée regarda longuement les étoiles, et essaya de se situer Il lui fallu longtemps pour en être sûr, mais elle finit par trouver.
Quand laube se leva, elle marchait vers Yrkanis, une couverture comme manteau, quelques herbes enfermant du brouet comme provisions. Et avec la peur et lespoir au ventre.
Elle ne savait pas encore quelle avait disparue trois années