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La fin de la destinée

Posted: Sat Apr 23, 2005 3:12 am
by silvius9
L ES ETOILES, confidentes d'hier, ne lui avaient jamais paru aussi pâles, froides et ternes qu'en cette nuit de tristesse. Il semblait à Thanys qu'une distance terrifiante séparait Atys de l'immensitée constellée, qu'un voile immobile s'était placé entre lui et l'infini, l'empêchant de voir, de sentir, de comprendre. Autrefois, en ce même lieu, assis l'un contre l'autre, ils avaient également interrogé le ciel, cherchant à percer ses secrets, s'indiquant mutuellement tel ou tel agencement astral tandis que le vent doux de l'été les berçait de son chant apaisant. Là-bas, sous cette lueur, se trouvait l'oath, là-bas l'huile de koorin, ici l'ambre très-pure utilisée par les mages... Tout ce savoir, de la forme des nuages aux mélodies chantées par la brise, de l'intensité des rayons lunaires aux effets révélateurs de la pluie, ils les avaient appris ici, en cet endroit même où désormais le seul chant qui se faisait entendre était la douce mélopée d'une femme Zorai, occupée à préparer le repas de sa tribu.

«Que chantes-tu, Sun ?» lui demanda le Matis, après avoir longuement attendu que le chant fut fini. - «Seigneur, je chante Jena, dont l'esprit souffle en ce lieu, son pouvoir qui crée les monts et les forêts, qui commande aux lignes qui parcourent l'écorce et que nous, son peuple, apprenons à connaître... » Le regard mystérieux de l'homine troubla profondément le Foreur - « Est-ce tout ce que tu chantes, homine, la Création ?» - « Non, seigneur.... Je chante la Fin de la Destinée, et le secret du monde. Car tout ce qui est est destiné à mourir, ce qui fut beau un jour ne sera rien demain. Sauf dans le coeur de la Déesse, qui lui n'a ni fin ni destin, car il les contient tous...»

La Déesse... Malgré lui, une larme perla sous l'oeil déjà ridé du Matis. Lui qui se disait serviteur de Jena, ne subissait-il pas là l'Epreuve, celle que tout homin redoute au plus profond de lui car elle le laisse rayonnant ou détruit ? Lentement, perdu dans ses pensées, il s'éloigna du village, loin de la lumière, loin de l'Autel dont la présence confortait sa foi mais perturbait ses songes. Parvenu à l'endroit qu'il avait choisi, il s'allongea à même le sol, les bras en croix et l'oreille collée à l'herbe humide. Fixé comme un clou entre les Deux Voûtes, celle du Ciel et celle de l'Ecorce, son corps transformé en un axe autour duquel vibrionnaient des images confuses de sa propre existence, il se laissa emplir d'un océan de pensées contradictoires et douloureuses, lancées par vagues de plus en plus violentes sur le frêle esquif de sa raison. Sur le lac de sa vie la pluie s'était mise à tomber, et chaque goutelette, mille fois répétée, y provoquait son propre tourbillon, emporté à peine créé, terminé avant même d'avoir commencé à vivre...

L'AUBE commençait à poindre lorsque, fourbu, il se releva, son corps brisé par le travail intense que la prière lui avait imposée. Au village, la Zorai de la veille lui apporta un bol de soupe chaude pour le réconforter, et un sourire qu'il n'eut pas le courage de rendre. Une chanson triste, comme le son de la voix de l'aimée qui s'éloigne, résonnait dans son âme. Au-dessus du mont qui surplombait le village, un nuage en forme d'étoile venait de faire son apparition. Agenouillé devant l'Autel, vêtu des parures du sacerdoce, le premier mot de son oraison jaillit spontanément de ses lèvres : « O Jena, dont l'Ange insaisissable échappe à ma prière ...».

Il lui fallait à présent supporter cette épreuve, et apporter à d'autres le bonheur qu'il ne pourrait plus connaître, par l'application des saints rites. Ainsi le voulait la Déesse, ainsi l'exigeait le Grand Secret du Monde, ainsi se finissait une partie de son destin...

L'Ange insaisissable, échappant à ses prières, était déjà si loin...Sur le Nexus baigné dans une lueur d'ambre qu'elle avait tant aimée, les premiers invités arrivaient à la cérémonie du mariage et commençaient à gravir la Fin de la Destinée. Doucement, presque dans un murmure, une pluie fine et froide se mit soudain à tomber...

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(hrp : les initiés comprendront... les autres pourront deviner.
"Nox obscura tenebrosa, per te ridet luminosa...")