Re: [Matis] Lettre au duc di Varello
Posted: Thu Dec 30, 2004 6:43 pm
Le dîner venait de se terminer, et tous les convives étaient passés au salon du vaste appartement Vallas pour prendre une liqueur rare. Thanys jeta un coup d'oeil satisfait autour de lui : que le temps avait passé vite depuis l'époque où, jeune réfugié, il n'avait pour logis que la couverture des arbres du Jardin Majestueux, ou une simple couchette dans le dortoir des cadets de Sokkarie... A présent sa fortune était faite, et avec elle arrivaient les ennuis.
Tout cela était arrivé si vite, et pourtant tout cela avait été planifié, organisé, exactement comme il en avait fait le serment à Borea, à son père que la maladie avait rendu incapable de continuer la tâche à laquelle il avait consacré son existence. Une tâche immense, peut-être vaine, peut-être pas. Après tout, même la science qu'on disait infinie de la Karavan ne pouvait prédire l'avenir, et celui-ci était la clef de tout.
Ses yeux se posèrent sur l'autel domestique qui ornait son salon. Un sourire s'esquissa sur ses lèvres. Jena... Qui qu'elle fut, elle était encore utile, plus qu'utile, indispensable... Le monde n'était pas encore prêt à la Révélation.
"Prions, mes frères homins, que la Sainte Protectrice de notre peuple et souveraine du monde nous accorde de penser juste et de parler vrai !". Autour de lui ses invités l'approuvèrent, et respectèrent sans ciller la minute de silence qu'il imposait par cette formule rituelle.
"A présent, nous pouvons parler."
Un des convives s'éclaircit la gorge. "Ser Thanys, vous savez pourquoi nous sommes là je suppose. Tout Yrkanis ne parle que de cette lettre que vous avez adressée à Son Excellence...". Thanys sourit. "Nous aimerions savoir quelles étaient vos intentions, d'autant que vos amis ont rendu cette lettre publique, nous en avons tous une copie...".
Thanys se leva, une coupe en résine finement ciselée à la main, et s'approcha, sciemment, de l'autel dont il caressa négligemment la surface.
"Nous ne pouvions plus attendre. La vacance du pouvoir est une plaie qui risque de se retourner contre le peuple."
Un autre convive prit la parole à son tour. "Fort bien, sur ce point nous sommes d'accord, et vous le savez, Ser Thanys. mais pourquoi le duc di Varello ? Vous savez comme nous tous les liens troubles qu'il entretient avec ce di Kormalys, son silence ainsi que celui du Palais lors de la mort de Sokkar... Nous n'avons même pas eu une enquête, c'est de la collusion pure et simple ! J'en viens à me demander si Sa Majesté elle-même..."
"Sirgio, laissez Sa Majesté en-dehors de tout cela je vous prie. Nous avons bien d'autres yubos à dresser pour le moment, et la mettre en cause ne pourrait que nous desservir et renforcer la cause d'Ikkyezel. Ma position est simple : s'il souhaite se targuer du soutien du Palais, qu'il le fasse, mais qu'il s'en explique devant le plus grand nombre ; gouverner par les secrets ne peut se faire qu'en secret. Vous connaissez ces jeux de lumière, que nous pratiquions tous enfants... Un agencement habile de vos doigts, de vos mains, derrière un voile de fibre blanche, peut faire imaginer ce que vous souhaitez à ceux qui vous regardent... Tant qu'ils croient ce qu'ils voient et ne cherchent pas plus loin, vous les dirigez. Otez le voile ou faites entrer la lumière, et toutes les illusions s'effacent...". Thanys marqua un silence. "... je n'ai fait que soulever une partie du voile, et rajouter une torche ou deux à l'éclairage de la pièce..."
L'assemblée réfléchissait.
"Le Conseil des Maisons, en soi, peut être une bonne chose. Je dis bien "peut". Il est toujours utile d'avoir un endroit où parler, et la profession de causeur est fort prisée chez nous autres Matis....Je parle d'expérience, je la pratique aussi. Il ne faudrait pas cependant que ce Conseil devienne une machine infernale, un organe de pouvoir empiétant sur le fonctionnement normal des institutions. Pire, il ne faudrait pas que ce conseil favorise l'hérésie, ou nous risquons de perdre le soutien de la Karavan et donc tous les espoirs de renaissance pour notre peuple."
"Mais cela, vous l'avez lu dans ma lettre, pardonnez-moi si je me répète."
Le dénommé Sirgio se redressa dans le confortable fauteuil en fibre de Shu tissée qui trônait au milieu de la pièce, et posa sa coupe sur une petite table devant lui. "Bien Ser Thanys, si j'ai bien compris, votre démarche était purement politique. Une manoeuvre en direction du Palais, en somme. Qu'attendez-vous des guildes qui nous envoient ici ?"
"Rien, Sirgio. Vous pouvez dire à vos maîtres que je n'attends rien d'eux, et je doute même qu'ils me suivraient s'il me venait à l'idée de me poser en opposant officiel à Ikkyezel. Qu'ils prient Jena et suivent la Karavan, c'est tout, pour le reste, remettons-en nous au Roi et à ses conseillers fidèles pour reprendre l'initiative et éviter la pagaille. Mais si vous participez aux travaux de ce Conseil, essayez de garder à l'esprit cette mise en garde : le pouvoir du peuple par le peuple, via des représentants, est une illusion dangereuse qui nous conduira à notre perte."
- "Vous savez bien que ce n'est pas le point de vue de ma guilde, Thanys."
- "Je le sais. Que Jena nous protège donc, et nous évite cet écueil... En attendant... Vous reprendrez bien un peu de cette liqueur de Xhi ?"
Tout cela était arrivé si vite, et pourtant tout cela avait été planifié, organisé, exactement comme il en avait fait le serment à Borea, à son père que la maladie avait rendu incapable de continuer la tâche à laquelle il avait consacré son existence. Une tâche immense, peut-être vaine, peut-être pas. Après tout, même la science qu'on disait infinie de la Karavan ne pouvait prédire l'avenir, et celui-ci était la clef de tout.
Ses yeux se posèrent sur l'autel domestique qui ornait son salon. Un sourire s'esquissa sur ses lèvres. Jena... Qui qu'elle fut, elle était encore utile, plus qu'utile, indispensable... Le monde n'était pas encore prêt à la Révélation.
"Prions, mes frères homins, que la Sainte Protectrice de notre peuple et souveraine du monde nous accorde de penser juste et de parler vrai !". Autour de lui ses invités l'approuvèrent, et respectèrent sans ciller la minute de silence qu'il imposait par cette formule rituelle.
"A présent, nous pouvons parler."
Un des convives s'éclaircit la gorge. "Ser Thanys, vous savez pourquoi nous sommes là je suppose. Tout Yrkanis ne parle que de cette lettre que vous avez adressée à Son Excellence...". Thanys sourit. "Nous aimerions savoir quelles étaient vos intentions, d'autant que vos amis ont rendu cette lettre publique, nous en avons tous une copie...".
Thanys se leva, une coupe en résine finement ciselée à la main, et s'approcha, sciemment, de l'autel dont il caressa négligemment la surface.
"Nous ne pouvions plus attendre. La vacance du pouvoir est une plaie qui risque de se retourner contre le peuple."
Un autre convive prit la parole à son tour. "Fort bien, sur ce point nous sommes d'accord, et vous le savez, Ser Thanys. mais pourquoi le duc di Varello ? Vous savez comme nous tous les liens troubles qu'il entretient avec ce di Kormalys, son silence ainsi que celui du Palais lors de la mort de Sokkar... Nous n'avons même pas eu une enquête, c'est de la collusion pure et simple ! J'en viens à me demander si Sa Majesté elle-même..."
"Sirgio, laissez Sa Majesté en-dehors de tout cela je vous prie. Nous avons bien d'autres yubos à dresser pour le moment, et la mettre en cause ne pourrait que nous desservir et renforcer la cause d'Ikkyezel. Ma position est simple : s'il souhaite se targuer du soutien du Palais, qu'il le fasse, mais qu'il s'en explique devant le plus grand nombre ; gouverner par les secrets ne peut se faire qu'en secret. Vous connaissez ces jeux de lumière, que nous pratiquions tous enfants... Un agencement habile de vos doigts, de vos mains, derrière un voile de fibre blanche, peut faire imaginer ce que vous souhaitez à ceux qui vous regardent... Tant qu'ils croient ce qu'ils voient et ne cherchent pas plus loin, vous les dirigez. Otez le voile ou faites entrer la lumière, et toutes les illusions s'effacent...". Thanys marqua un silence. "... je n'ai fait que soulever une partie du voile, et rajouter une torche ou deux à l'éclairage de la pièce..."
L'assemblée réfléchissait.
"Le Conseil des Maisons, en soi, peut être une bonne chose. Je dis bien "peut". Il est toujours utile d'avoir un endroit où parler, et la profession de causeur est fort prisée chez nous autres Matis....Je parle d'expérience, je la pratique aussi. Il ne faudrait pas cependant que ce Conseil devienne une machine infernale, un organe de pouvoir empiétant sur le fonctionnement normal des institutions. Pire, il ne faudrait pas que ce conseil favorise l'hérésie, ou nous risquons de perdre le soutien de la Karavan et donc tous les espoirs de renaissance pour notre peuple."
"Mais cela, vous l'avez lu dans ma lettre, pardonnez-moi si je me répète."
Le dénommé Sirgio se redressa dans le confortable fauteuil en fibre de Shu tissée qui trônait au milieu de la pièce, et posa sa coupe sur une petite table devant lui. "Bien Ser Thanys, si j'ai bien compris, votre démarche était purement politique. Une manoeuvre en direction du Palais, en somme. Qu'attendez-vous des guildes qui nous envoient ici ?"
"Rien, Sirgio. Vous pouvez dire à vos maîtres que je n'attends rien d'eux, et je doute même qu'ils me suivraient s'il me venait à l'idée de me poser en opposant officiel à Ikkyezel. Qu'ils prient Jena et suivent la Karavan, c'est tout, pour le reste, remettons-en nous au Roi et à ses conseillers fidèles pour reprendre l'initiative et éviter la pagaille. Mais si vous participez aux travaux de ce Conseil, essayez de garder à l'esprit cette mise en garde : le pouvoir du peuple par le peuple, via des représentants, est une illusion dangereuse qui nous conduira à notre perte."
- "Vous savez bien que ce n'est pas le point de vue de ma guilde, Thanys."
- "Je le sais. Que Jena nous protège donc, et nous évite cet écueil... En attendant... Vous reprendrez bien un peu de cette liqueur de Xhi ?"