Le Kami qui trônait devant le totem tourna la tête vers lhomine qui sapprochait de lui. Il la regarda calmement, et ne bougea ni ne fit un geste quand elle se posta humblement devant lui.
Elle le dévisagea longtemps. Il lui rendait son regard avec calme et paix, et baissa la tête vers elle, comme pour lobserver de plus près, de ses immenses yeux stellaires.
«Ainsi, pensa-t-elle, tu ne me regarde plus avec reproche ?... »
Il semblait presque acquiescer, penchant la tête de droite et de gauche. La vie autour deux courrait sans quils ne la dérangent, le village où se trouvait ce grand ambassadeur restait toujours aussi calme, et animé.
Elle navait pas provoqué de regards de reproches, ou de crainte, cette fois. Non
juste un calme et un naturel évident de se trouver là, face à ce Kami la toisant toujours de son regard hypnotisant, quelle navait pas quitté.
Deux aubes avaient passées. Elle avait eu du mal à se remettre, réfugiée dans une caverne sale, avant de pouvoir sortir avec les premières prémices de la fin de sa fièvre. Elle avait songé après coup quelle aurait très bien pu mourir, mais cela avait valu ce risque. Même si elle navait jamais imaginé le prendre.
Elle avait ses réponses. Difficile de les traduire, mais elle y trouvait un sens, une direction. Quelle ne remettait plus en question. Celle de ses propres choix, devant les événements quelle avait eu à croiser, devant le rôle quelle se demandait avoir. Le doute reviendrait bien assez tôt, elle en avait conscience. Mais la foi était tout ce quelle avait désiré. La foi, et le courage de lassumer, et den assumer les conséquences.
Son esprit se perdit un instant dans le vertige de ses souvenirs. Elle avait mis des heures à être sûr quelle était revenue dans le monde réel, quelle avait repris contact avec la simple existence. Ses dernières nuits avaient été peuplées de ces rêves qui ne lui appartenaient pas, venus de ce moment où elle avait touché à ce quelle nosait pas encore nommer, et qui naurait sans doutes de sens quavec le temps, quavec ce quelle avait maintenant à apprendre, et comprendre de la réalité des Kamis.
Mais elle savait intimement ceux quils étaient. Tout
les vies entières, connectées les unes aux autres. La vie quelle aimait tant, quelle chérissait tant, ils en était lune des manifestations. Difficile de mettre un nom sur eux, sur ce quils étaient ou ce quil servaient, mais elle avait vu, touché, ressenti ce quils pouvaient exprimer. Et les yeux de cet ambassadeur reflétaient une si infime partie de la réalité
si infime
Il se détourna delle, doucement. Il lui avait donné une réponse simple : il lacceptait, enfin, la reconnaissait. Lui donnait son approbation. A elle de sen montrer digne. Mais elle se sentit transportée de bonheur et despoir. Il avait juste montré ce quelle avait tant eu besoin de savoir, et de comprendre.
Il était temps de rentrer.
Elle songea à tous ces gens quelle avait laissés sans nouvelles, et Leonil lui manqua soudain avec une cruauté terrible. Il était temps de retrouver son monde, et dy vivre. De retrouver sa famille, et son peuple.
Elle séloigna un peu, et chercha dans ses vêtements le deuxième ticket, celui quelle avait gardé pour assurer son retour. Elle ne trouva rien.
Elle navait jamais pensé à cette éventualité là. Quelle puisse le perdre. Elle avait couru sous la fièvre et le délire des jours entiers, avant de se cacher le temps de guérir, et navait jamais pensé le chercher, vérifier sa présence, à aucun moment. La petite poche était vide. Elle tourna la tête de droite et de gauche, mais comprit vite que le chercher était inutile, elle navait pas une chance de retrouver un petit morceau de bois sur les cycles entiers quelle avait marché.
Cela voulait dire une seule chose à faire
Impossible de communiquer avec personne, et difficile dattendre larrivée de qui que ce soit ici. Elle navait pas dautre choix que de revenir par elle-même. Et trouver un ticket. Davae était loin, Yrkanis encore plus, mais les villes Matis étaient les plus accessibles, même au risque de croiser les hommes de La Garde Drakarys ou des chasseurs de primes voulant sa tête pour la récompense de Saganael. Aller encore plus loin au Sud signifiait la mort sous les torbak. Elle navait aucune chance de leur échapper, ou à nimporte quoi dautre.
Elle commençait à décourager. Pas de dappers pour essayer de payer des provisions, pas de moyens de se défendre, juste ce quelle arrivait à maîtriser de lArt, et les sorts de combat nétaient réellement pas sa partie. Et pas plus darmes. Il faudrait des jours pour faire le chemin sans servir de repas à tous les prédateurs. Et espérer trouver des Matis pour voyager avec eux
Des matis qui naient pas entendus parler de la prime, surtout.
Mais elle navait pas le choix. Il fallait faire ce voyage, et elle se mit en marche avec dautant plus dempressement que chaque heure qui passait amplifierait linquiétude de ses amis. Et que chaque minute qui coulait lui rappelait amèrement comme les bras de son prince lui manquaient.
Elle salua le Kami en partant, pria un court instant pour quil veuille bien laider à rentrer saine et sauve, et suivit lEst. Ses souvenirs étaient flous, et bien sûr elle navait pris aucunes cartes, mais cétait entre lest et le nord que devait se trouver les premières routes du pays matis. Et souvent, aussi, des groupes de chasseurs à la poursuite de gibiers rares et dangereux.
Elle marcha tout le jour, et une grande partie de la nuit. Il faisait toujours terriblement froid, et elle navait pas plus trouvé de quoi se réchauffer que de quoi manger depuis son départ. Son dernier repas datait désormais de presque cinq jours, sauf quelques racines quand elle avait commencé à se remettre. Plus la nuit savançait, plus elle navait comme seule idée que de rencontrer des gens. Mais où quelle regarde, elle ne vit personne, pas âme qui vive.
Une souche lui servit dabri pour une partie de la nuit, avant quelle reprenne sa route à laube. Le soleil se décida à réchauffer le sol gelé
les premiers rayons du printemps. Et lair se réchauffait un peu à son tour. Assez pour quelle en remercie Atys, et reprenne sa marche, pestant contre son épouvantable sens de lorientation. Elle ne cessait de devoir revenir en arrière, de scruter le ciel pour essayer de retrouver sa direction, de contourner ravins ou rivières, et la faim commençait à affecter le peu de force quelle avait pu récupérer.
Lombre du découragement commençait à la suivre. Elle avait réussi, trouvé la réponse à ses peurs et ses questions, et se retrouvait seule, perdue, incapable de retrouver ses pas, loin de tout, et une fois de plus incapable de sen sortir seule. Elle avait du toujours compter sur les autres, sur leur soutien, leur protection, pour rester en vie, pour apprendre, pour ne pas se mettre delle-même dans les pires ennuis. Et en fait, elle était très douée pour aller chercher les ennuis ou attirer les pires dangers.
Et cétait exactement dans ce cas quelle était, et quelle se maudissait dêtre si impulsive, si imprudente, de navoir pas fait un peu plus attention à ce simple ticket qui laurait ramené dans les bras de Leonil en un instant. Elle pleurait de rage en marchant, essayant de ne pas se perdre encore plus, rêvant dun retour chez elle, essayant de ne pas laisser trop lenvahir la terreur quelle ny arriverait pas.
La nuit tomba une fois de plus. Elle pensait être bientôt proche des prochaines routes, peut-être même les avait-elle vu à lhorizon, peu avant la nuit, sur une butte. Elle devait pourtant sarrêter. Quelques tiges perçaient la neige fondante, signe de quelques tubercules quelle espérait pouvoir manger. Cétait atroce
mais au moins pas dangereux, et peut-être capable de faire patienter son corps encore une journée, avant de défaillir. Plus loin, un bosquet dépineux se penchait par-dessus un torrent, et offrait un abri confortable
Et finalement, le tapis daiguilles était doux. Et chaud ! Elle sendormit vite, blottie dans les aiguilles, première couverture de fortune depuis des jours. Et ses rêves sans nom revinrent la hanter et la bercer toute la nuit.
Un bruit inhabituel la réveilla alors que laube ne naissait pas encore. Elle ouvrit les yeux, pour se tourner. Et fit craquer une branche.
Les trois homins à quelques distances pensaient être seuls. Elle ne saurait jamais qui ils pouvaient être, et ce quils faisaient ici, mais ils éclairèrent le bosquet directement, et Psychée se retrouva en pleine lumière. Elle vit la lance se dresser vers elle, tandis que le deuxième homin dégainait un pistolet. Ils devaient être des prospecteurs, vu leur équipement, mais elle nen vit rien de plus. La sève de son Art vint seule, sans rien lui demander, une vague glaciale atteignant le premier homin dans un éclat de lumière froide. Le matis sécroula sous le choc cétait bien un matis, et lâcha son arme de poing. Elle vit la lance venir à elle, plongea à travers les épines, et seffondra dans leau glaciale tandis que le matis à la lance se précipitait vers elle. Elle tendit la main, sa sève devient glace vive qui le frappa de plein fouet, et à la même seconde, elle sentit quon lui traversait les entrailles. Lhomin seffondra dans les buissons tandis quelle coulait dans les eaux glacées, une immense nappe rouge se déroulant dans londe derrière elle, la lance planté de part et dautre de son ventre.
Les tumultes du torrent lemportaient, tandis quelle perdait vie et conscience, avant quun angle du cours deau ne la recueille dans une boue glacée. Elle avait encore conscience dêtre en vie, et encore plus conscience de mourir, une douleur atroce fichée dans le corps, la lance torturant ses organes à chaque secousse de sa respiration et de son cur.
La sève coulait dans leau, dans une grande tache rouge qui se noyait dans lobscurité.
Elle gémit, gémit encore, serra les dents, et comprit quelle allait mourir. Sans espoir daucun retour. Son âme séteignait en même temps que son cur dans linconscience, et un gouffre glacial. Elle essaya de penser à quoi se raccrocher pour ce dernier instant
Et, une dernière fois tout ce quelle avait de magie et de sève en elle se mit à vibrer, un unique appel, une peur terrifiante, un dernier espoir, un appel qui dépassa son être pour aller suivre le cours de la sève coulant dans Atys toute entière, se répandant à travers lécorce, à la recherche de ceux quelle aimait, de ceux qui laimaient, dune dernière chance pour son âme dappeler à laide. Et de vivre.
(La suite appartient à mes amis sur Ryzom, qui ont joué le jeu de ce mini event RP entre nous, et qui auront à écrire eux-même la fin, que je viendrais poster ici s'ils ne le font pas eux-même. Ceux qui auront lu ce texte se reconnaitront, s'ils croient que cela les concerne, et je suis curieuse de voir la fin, et comment elle s'écrira )