Vous avez dit de beaux textes... Mais tout ça n'est que fantasme
Je vais vous dire ce qu'est l'eau, pour nous.. Saigneurs de racines
Le Fyros lissa la sciure. Il dessina sur la surface plane un petit cercle, puis un cercle plus grand, à l'intérieur duquel il traça plusieurs circonférences.
Lorsque tu marches dans le désert, dit-il en pointant son doigt sur le petit cercle, tu rencontres souvent des ossements.
Certains viennent des temps reculés, quand les Homins d'Hier habitaient ce monde. De loin, quand on aperçoit ces gros cailloux blancs, personne n'imagine qu'ils étaient entourés de chair et qu'ils portaient un animal. C'est cela le grand mouvement de la vie, le passage de la chair à l'écorce et à la sciure.
Le Fyros planta son doigt au centre du petit cercle.
Ce n'est pas de cela que je voulais te parler, mais seulement te dire que quand un animal ou un homin s'éloigne des autres, il devient une proie et bientôt son corps est comme un tas de bois sec.
Les Izams ont nettoyé sa charogne jusqu'au dernier morceau de chair.
Quand les homins ne sont pas rassemblés dans une famille, un clan, une tribu, un peuple, ils sont perdus.
De son doigt, il montra le grand cercle.
Les voilà ensemble, dit-il. Si un jour, demain ou un autre jour, à ton prochain voyage, si tu sens le besoin de revenir ...
Il s'interrompit et scruta l'assemblée.
Car on éprouve toujours le désir de retrouver le désert. On a eu les lèvres éclatées, les orteils déchirés par la poussière tranchante, les talons percés de plaies, on a dormi recroquevillé. Mais celui qui est venu n'oublie pas. Il s'est couché sous les étoiles, et elles ne brillent jamais plus fort qu'au-dessus du désert. La nuit n'est nulle part aussi noire et aussi brillante, et c'est ici que tu entends le silence.
Le désert est le seul lieu du monde où l'on reste propre sans se laver,
et cela des mois durant. Le vent et la sciure nettoient jusqu'à l'os.
Ils arrachent la peau. Ils laissent l'homin nu, comme écorché. Ou son âme est forte, et il ose regarder ce qu'il est, ou bien il se lamente. Il parle et sa bouche devient sèche. Les puits sont loin.
Alors, il court, seul. Il abandonne les siens, et les Izams commencent à le suivre. D'abord ils volent très haut, autour de lui, puis, au fur et à mesure que son allure faiblit, ils se rapprochent. Et quand il tombe, ils sont là,
à battre des ailes et à crier autour.
Bientôt, ils se posent sur ses épaules et commencent à le picorer,
crevant ses yeux à coups de bec, enfonçant leurs serres dans la peau.
Il éloignait, tout en parlant, son doigt du grand cercle.
Toi et les tiens, vous êtes comme cet homin-là. Dans vos pays, l'eau coule comme si les sources ne pouvaient jamais se tarir. Vous ne pouvez rester une heure sans vous laver. Et vous êtes sales. L'air que vous respirez apparemment ne brûle pas la peau.
Et pourtant il y a sur votre visage et sur vos mains, à l'intérieur de votre corps, une couche noire, et c'est pour cela qu'il vous faut de l'eau.
Le Fyros se frotta les mains, comme s'il les lavait.
Mais vos mains restent couvertes de cette couche noire,
même quand votre peau semble blanche. Ici, celui qui croit aux apparences meurt. Celui qui ne marche pas aux côtés des autres devient charogne. Celui qui ne prête pas sa main pour aider l'autre se condamne à ne pas être secouru. Et chacun sait qu'il aura un jour besoin de quelqu'un.
Le Fyros secoua la tête, ce qu'il ne fait que rarement tant il est économe de chacun de ses gestes, de chaque mouvement de son corps.
Ici, tu apprends que la solitude est la pire condamnation dont on puisse accabler un Fyros
Elle le conduit à la mort. Toi et les tiens, vous croyez pouvoir agir seul,
comme des dieux. C'est pour cela que vous ne priez plus ensemble et que les lieux où jadis vous honoriez Atys sont vides, comme des puits ou des forts abandonnés.
Le Fyros ouvrit les mains, montrant ses paumes dont la peau est claire,
presque rose.
Vous avez oublié que l'homin n'est pas un dieu, et qu'il est perdu s'il croit qu'il en a les pouvoirs.
Il montra à nouveau toutes les petites circonférences que le grand cercle contenait.
Si un jour, demain ou un autre jour, reprit-il, tu vas dans une oasis, tu verras les troupeaux rassemblés. Ils viennent là pour s'abreuver. La sciure est recouverte par une couche épaisse de tout ce que les animaux rejettent, puis piétinent en se pressant les uns contre les autres pour boire. Chaque animal est au côté de son semblable. Les mektoubs des tribus fyros vont ensemble à l'abreuvoir. Et il en est de même des armas, des raspals ou des bodocs. Les animaux de chaque espèce restent entre eux.
Plinus posa la main sur sa poitrine.
L'homin est différent.
Tu es ici avec nous, toi qui viens d'ailleurs. Mais crois-tu que tu puisses devenir un homin du désert ? Tu as une âme qui est à toi et qui, depuis les Homins d'Hier de ton monde, a été sculptée jour après jour. Si tu y renonces, si tu crois pouvoir changer d'âme comme on change de voile de front et de bouche, tu te trompes. Il faudra que le vent transforme en sciure tous les monts des Tours des Frahars pour que les Fyros aient oublié ce qu'ils sont, et appartiennent au même troupeau.
Celui qui renonce à sa mémoire aujourd'hui n'est plus rien qu'un homin seul et perdu. Le serpent n'est pas un Izam et tu n'es pas un homme du désert ...
Le Fyros effaca les cercles sur la sciure puis se redressa
Le vent s'est enfui, mais le froid demeure. Dehors, dans la voute noire du ciel, les grandes trainées blanchâtres constituées d'étoiles innombrables partagent la nuit.
C'est la grande Karavan. Celui qui les a créées a donné aux homins
le moyen de trouver leur chemin.
Il tendit la paume de sa main vers l'assemblée
Voyez les lignes qui parcourent cette main... Ce sont les racines primaires d'Atys. Vous avez les même dans le creux de vos paumes. Nous, Saigneurs de racines, nous raccordons ces lignes au Désert. Nous apportons les rivières de vie là où la sècheresse demeure
Vous croyez que les Trykers des Lacs fournissent l'eau du Désert ?
Certes ils en fournissent une part... Il y a une rumeur de canalisation parcourant les territoires Tryker et Fyros... balivernes.. Il y a eu des tentatives , certes, mais aucune n'est arrivée à terme
Croyez vous que les Fyros ou même les Trykers aient les moyens de mener de l'eau par des tuyaux entre les deux territoires ? En faisant fi des menaces animales, de la géographie, des attaques des peuples primitifs ?
Les Mektoubs sont nos seuls alliés, les Caravanes arpentent les routes ancestrales, nous sommes assis au milieu de l'une d'elle, la Route de l'eau. Carrefour de plusieurs sources: l'eau des Lacs, et la nôtre !
Nous Saigneurs des racines servont les Fyros dans l'ombre.. satisfaits d'un marché immémorial.
Qui n'a jamais aperçut une caravane de mektoub traversant l'oasis d'Oflovak, chargée d'outres pleines en provenance des Sources Interdites ?
- Qui ?
- moi.., répondit Abyssandra
- C'est bien là le problème Aby...
- ah ? pourquoi ?
- J'ai entendu parler de toi et de tes grenouilles... Sais tu que nous en avons des blanches dans nos contrées ? Des toutes blanches ... Parfois elles s'immiscent dans nos outres
- Dews grenouilles blanches ? C'est pas possible !
- Mais elles ne supportent pas le climat du Désert
- Elles meurent rapidement..
- Oh les pove !
- Trop de lumière. Mais leur chant. Je t'invite à venir l'écouter... dans les Sources Interdites. Elles sont la voix de l'eau...
- Arty, demanda le fyros.
- Oui Plinus, répondit le tryker.
- Arty est un ingénieur Tryker. Il organise le raffinage de l'eau contenue dans les racines primaires. Celle que nous ramenons ici dans le Désert. Si vous avez des questions techniques c'est à lui qu'il faut les poser..
- Et je m'efforcerais d'y répondre au mieux de mes possibilités.
- Sachez juste une chose: l'eau que nous fournissons n'est pas commune. C'est une eau chargée de sève, elle a des propriétés que nulle autre n'a. Les Fyros ne la boivent qu'en de rares occasions ou l'utilisent pour des recettes d'artisanat: la Grande Forge de Pyr est alimentée par cette eau. le Feu Sacré et l'Eau quel beau mélange ! Le Désert est pays de contraste
-Nous Saigneurs de racines, continua-t-il sommes composés de Fyros et de Trykers. Et cela se passe bien. Nous assurons la protection et les Trykers assurent la production. c'était la morale de mon conte.. un peu long je l'avoue...
[hrp]Merci à Luinil pour la mise en forme et à tout le monde pour avoir supporté ce monologue [hrp]